critique de "L'amour et les forêts", dernier livre de Éric Reinhardt - onlalu
   
 
 
 
 

L'amour et les forêts
Éric Reinhardt

Folio
août 2014
416 p.  8,50 €
ebook avec DRM 8,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Mais qui est cette femme?

Il est tout de même très rare, voire -reconnaissons-le- très très rare, qu’un auteur garçon s’intéresse de près à un personnage féminin, au point d’en faire le sujet d’un roman. C’est pourtant le cas ici. Eric Reinhardt, après « Cendrillon » et « Le système Victoria », poursuit son ambition de faire une littérature en prise avec le monde, et d’en découdre avec la classe moyenne. Cependant, contrairement à ses romans précédents, on ne trouvera pas ici une analyse des rouages et des méfaits de l’ultralibéralisme –quoique. « L’amour et les forêts » propose d’abord un portrait, celui d’une femme écrasée par son mari.

Dans les premières pages, un narrateur –Eric Reinhardt, écrivain- rencontre une lectrice, enthousiaste et attachante. Une correspondance par courriels s’installe mais, à partir d’un certain moment, cette relation lui échappe. On ne sait ce que veut cette femme, qui se confie à lui et se révèle terriblement malheureuse. Mariée à un homme qui la persécute, elle aimerait changer de vie mais n’y parvient pas, et ses tentatives pour échapper à son sort ne font que resserrer la nasse que son mari a construite autour d’elle, jusqu’à l’étouffer. On sait peu de choses d’elle, à part les messages qu’elle envoie au narrateur, ce qu’elle dit de son histoire, quelques bribes, au cours de deux courtes rencontres, et des textes, extraits de son journal intime, qu’elle lui transfère. L’écrivain décide d’enquêter sur cette existence qui l’intrigue : comment
une femme d’aujourd’hui, intelligente et cultivée, profonde et pleine d’humour, comment une femme indépendante financièrement et exerçant un métier qui l’intéresse (elle est prof de lettres dans un lycée), entourée de frères et sœurs et d’amis qui la soutiennent, comment cette femme-là peut-elle être écrasée, jusqu’à être détruite, par son mari ?

Car il n’est pas question, ici, d’un cas social. Et c’est ainsi qu’Eric Reinhardt, comme à son habitude, bouscule bien des préjugés. En cela, son nouveau livre s’inscrit dans la lignée des précédents, et nous force à regarder la société qui nous entoure telle qu’elle est. Oui : la liberté des femmes est relative. Non : il n’est pas obligatoire d’appartenir au quart monde pour être battue par son mari. Et oui, certains hommes policés peuvent se comporter en tyrans, ligoter psychologiquement leur épouse et l’anéantir.

Reinhardt donc va très loin dans sa façon de déconstruire les clichés, jusqu’à abattre un des derniers mythes de notre époque. Cette femme n’est pas aimée de ses enfants, qui la regardent par les yeux dépréciateurs de leur père, et au fond, elle ne les aime pas non plus.

En filigrane, un autre questionnement court sous cette histoire : celui de la relation entre fiction, littérature, et réalité. D’une part, cette lectrice interpelle le narrateur en tant que romancier et le conduit à s’interroger sur son travail. D’autre part, il s’avère qu’elle écrit elle-même, des textes que nous lisons à notre tour par l’intermédiaire du narrateur. Dès lors, nous pourrons interminablement nous interroger sur la vraisemblance de ce qu’elle y raconte, tant elle semble osciller entre fantasme et réalité. D’autant que sa personnalité, à mesure que le narrateur enquête sur elle, paraît de plus en plus complexe. Au fond, ce personnage féminin qui, dans ses premières lettres, semble insouciante alors qu’elle est désespérée, et ce narrateur qui, au départ, semble si sûr de lui, puis vacille devant ce qu’il découvre, conduisent tous deux à la même question : que sait-on de celui qui écrit ?

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Parfois il suffit d’un homme pour ouvrir les yeux

Un pervers narcissique ; un manipulateur, peut-être à son insu même ; mais finalement un criminel, coupable des souffrances qu’il procure, qu’il en soit ou non responsable. Cet homme, c’est celui de la vie de Bénédicte Ombredanne, son époux et le père de ses enfants. Celle-ci, faute de s’aimer assez pour oser croire mériter mieux, l’a suffisamment côtoyé pour se retrouver totalement prise à ce piège insoupçonnable par le monde autour.
Parfois il suffit d’un homme pour ouvrir les yeux sur ceux qui ont précédé. Parfois il suffit d’une étreinte pour admettre qu’autre chose existe et décider que l’on ne veut plus se laisser traiter de la façon dont on est traitée.

Bénédicte Ombredanne donc fera sa rencontre salvatrice – ou pas. Son dédommagement pour le sacrifice auquel elle a consenti, le cadeau qu’elle se fait prendra l’apparence d’un amant vivant dans les bois. Et de ce bonheur, comme du malheur qui le précède et en découle, elle fera le récit à cet écrivain dont elle aime tant les livres.

L’écriture d’Eric Reinhardt est une vague qui emporte et ne laisse pas de répit avant d’avoir recraché son lecteur incrédule et sonné sur la plage redevenue calme. Si le personnage de l’écrivain y est très présent, trop peut-être, puisqu’il n’est qu’un prétexte au propos, l’ensemble est cependant fascinant, foisonnant, et dramatique dans ce qu’il démontre : une réalité tangible où les prédateurs portent des masques d’individus irréprochables qui leur permettent de sévir en toute impunité.
Un roman fort, marquant, dont on ne sort pas indemne.

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur

Portrait de femme

Bénédicte, elle s’appelle Bénédicte Ombredanne. Très sensibilisée par l’écriture d’Eric Reinhardt et sans doute aussi quelque part, inconsciemment, par l’auteur comme si elle cherchait une sorte de bouée de sauvetage dans la vie, une sorte de confident.
Mais qui est-elle au fond ? Une femme parmi tant d’autres sans aucun doute, avec sa vie et les difficultés d’existence personnelles qui vont avec, sauf qu’un jour elle décide de le lui écrire, de lui dire tout le plaisir qu’elle ressent à le lire.
Eric Reinhardt, pourtant mille fois complimenté et même très respectueux de ses lecteurs et lectrices, perçu cette fois l’exception. Il n’avait pas à faire à une admiratrice de ses écrits comme il en recevait chaque jour les compliments, ceux-ci étaient cette fois formulés dans un style littéraire auquel il n’était pas habitué et qui avait suscité sa curiosité. Il décida alors de lui répondre sans imaginer une seconde la suite qui allait en découler.
De ce jour s’engagea entre eux un dialogue confidentiel qui ne cessa de les submerger.
Hors des péripéties de ce qui deviendra par correspondance une existence, en quelque sorte commune, on découvrira dans ce magnifique roman relatant du vécu de l’existence de Bénédicte, les affres de la vie d’une femme vivant avec ses enfants sous l’emprise féroce d’un mari possessif mentalement malade, ce dont il avait pourtant conscience sans pour autant pouvoir s’en défaire.
Poussée à l’extrême Bénédicte passera alors par tous les moyens qui allaient, au moins momentanément la soustraire de son calvaire quotidien.
Je ne suis pas ressortie indemne de ce roman. Cette lecture est éprouvante, le calvaire que subi Béatrice Ombredanne face à la cruauté mentale de son mari est parfois à la limite du supportable.
Ce livre est cependant pour l’instant le plus beau que j’ai lu parmi les nouveautés de la rentrée littéraire.
Un chef-d’oueuvre assurément, très justement couronné par le Renaudot des lycéens.

partagez cette critique
partage par email
 

Le bonheur dans la névrose conjugale

Eric Reinhardt met en scène sa relation, supposée réelle, avec une lectrice qu’il aurait accepté de rencontrer à deux reprises après avoir été touché par la lettre qu’elle lui aurait envoyé. Il découvre à travers les confidences de Bénédicte Ombredanne l’histoire d’une femme insatisfaite, qui s’ennuie dans sa vie et supporte le harcèlement quotidien d’un mari déséquilibré.

Si le mari est un pervers narcissique, comme tout le monde s’accorde à le dire, alors il est atypique ou petit joueur. En effet, la première image que nous avons de lui est celle d’un homme effondré après avoir entendu à la radio la description du harcèlement domestique dans laquelle il a cru se reconnaître. Les pervers narcissiques sont plutôt connus pour ne jamais rien admettre, tout nier en bloc, n’éprouver ni repentir ni émotions et, inversement, se positionner eux-mêmes en victimes.

D’ailleurs, l’entourage de cet homme le rejette massivement et semble s’accorder sur le caractère maléfique de sa personnalité. Le pervers narcissique est davantage un séducteur charismatique qui a l’art de s’attirer la sympathie et le dévouement de tous, quand ce n’est pas la compassion. C’est bien ce don pour la tromperie et la manipulation qui le rend aussi destructeur et redoutable pour sa cible qui ne pourra jamais faire reconnaître sa situation. Rien de tout ça dans l’Amour ou les Forêts où l’héroïne bénéficie du soutien de tous alors que son époux n’est apprécié de personne.

Le mari de Bénédicte Ombredanne est bourrelé de déséquilibres et de comportements anormaux, certes, il est très égoïste et même calculateur. De là à voir en lui un pervers narcissique, c’est peut-être encore une de ces dérives qui consiste à projeter partout et sur tous une nouvelle pathologie psychologique dès qu’elle commence à faire un peu parler d’elle.

Il apparaît plutôt comme un homme qui pour n’avoir jamais été aimé n’est pas capable de donner de l’amour lui-même. Il ignore tout de cette affection qu’on ne lui a jamais prodiguée. Maltraité et rejeté, il à tendance à reproduire ce comportement sur ses proches et en particulier sur son épouse. Si on va au-delà de la tentation du cliché psychologique et de l’analyse superficielle, on peut ressentir de la compassion pour le personnage de l’épouse comme pour celui du mari. Malaimé depuis l’enfance, épousé par dépit et enfin trompé, sa souffrance est légitime. Ces deux là se sont mariés pour les plus mauvaises raisons, tels deux noyés qui à la recherche d’une bouée, s’agrippent l’un à l’autre pour sombrer ensemble.

Le roman commence bien, le style d’Eric Reinhardt est plaisant et si ses textes ont tendance à être un peu comme ceux de son héroïne lorsqu’elle écrit : « aussi chargées de métaphores que le mulet d’un paysan marocain » ils n’en demeurent pas moins de lecture agréable. Par la suite c’est assez inégal. Il y a des moments de pur bonheur, des phrases devant lesquelles on reste en arrêt malheureusement suivies régulièrement de passages indigestes.

A trop vouloir nous décrire le côté pesant du harcèlement, l’auteur tombe dans le piège classique qui consiste à lasser le lecteur en lui infligeant le comportement de son personnage. Le détail des plaintes et récriminations constantes de l’époux fatigue et ne nous apprend rien. Ce Jean-François n’est qu’un tyranneau domestique comme il y en a tant. Sa personnalité ne fascine pas. La plupart des lecteurs n’ont pas besoin de tous ces détails pour savoir à quoi ressemblent les giries d’un être amer et revendicatif.

Il en est de même pour les scènes de sexe, entre Bénédicte et cet amant, découvert sur Meetic et qu’elle rejoint aussitôt, à la lisière des forêts, où il vit, pour échapper à son quotidien sinistre. Le lecteur a plusieurs ouvrages en un seul : véritable œuvre littéraire souvent, parfois manuel pratique d’initiation au sexe pour adolescents (tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur ce qu’un homme et une femme peuvent faire ensemble sans jamais oser le demander) et enfin, dès qu’il est question d’amour des pages gorgées de sirop de rose.

Cette inégalité se retrouve dans les sensations d’authenticité. Manifestement, Eric Reinhardt a testé les sites de rencontres sur internet au point d’être capable de nous restituer toute la médiocrité des discussions échangées sur les chats. Il n’est pas possible d’en dire autant de l’univers de la psychiatrie dans lequel est plongée son héroïne suite à un « appel au secours » chimique.

Toute personne qui a arpenté un jour le département psychiatrie d’un hôpital et qui a pu constater l’état d’abandon de patients abrutis par les médicaments et malmenés comme des enfants déraisonnables, sera très étonnée de trouver ici des médecins psychiatres aussi attentionnés et disponibles, autant à l’écoute des desideratas de l’interné, qui viennent le voir tous les jours, comme le ferait un ami plein d’égards, des infirmières rougissantes et timides comme les pensionnaires d’un couvent pour filles de bonne famille et un règlement intérieur qui autorise les patients à rester éveillés toute la nuit, lumière allumée, pour écrire. Sainte-Blandine, – qui existe vraiment -, aimerait donc les écrivains ! Eric Reinhardt donne à cet établissement des airs de Villa Médicis assez surprenants qui feraient presque naître l’envie d’aller y faire un petit séjour.

Toutefois ce qui est poignant dans ce roman, c’est cette capacité que nous avons, nous autres humains, a gâcher nos existences paradoxalement précisément à cause de notre terreur de vivre. Qui n’a jamais éprouvé ce sentiment en lui-même ou n’a pas croisé sa propre Bénédicte Ombredanne (homme ou femme d’ailleurs) et n’a pas essayé en vain de la secouer pour la sortir de sa torpeur et lui donner le courage d’affronter la vie et de construire sa propre existence d’individu seul responsable de son bonheur et de sa destinée ?

Nous avons peur et cette crainte nous pousse à agir de manière aberrante, en gâchant nos dons, nos talents, nos possibilités pour nous réfugier parfois soit auprès d’un bourreau qui, tout en nous torturant, nous fera vivre les joies de la dépendance psychologique et les plaisirs de l’irresponsabilité, comme cette Bénédicte qui se trouve des excuses faciles pour ne pas quitter son mari et s’abandonner avec délices à la dérive d’une existence où lui seul est chargé de tous les torts, ou bien, à l’inverse, nous nous trouvons un souffre-douleur sur lequel nous allons nous acharner en le tenant également responsable de toutes nos frustrations.

Nous avons tous le choix : céder à la tentation d’une existence conventionnelle insatisfaisante qui nous rendra malheureux pour toujours mais avec des bénéfices secondaires suffisamment conséquents ou bien, opter notre version personnelle de l’amour et des forêts.

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur

Un chef d’oeuvre

Un chef d’oeuvre, si ce livre n’est pas primé je ne comprends pas. Un récit magnifique rempli d’émotions.

Bénédicte Ombredanne a 26 ans, elle est mariée à Jean-François depuis dix ans. Elle est maman de deux enfants : Lola l’aînée et Arthur cinq ans. Elle rencontre Eric Reinhardt qui se met habilement en scène par une auto fiction à deux reprises. Elle lui avait envoyé une lettre magnifique concernant un roman précédent, et ému par celle-ci avait accepté cette rencontre.

Lors de leur seconde rencontre en septembre 2008, Bénédicte dont il avait ressenti des failles, se livre et lui raconte son quotidien, Ils restent en contact et Eric devient son confident. Cette femme vit au jour le jour un calvaire difficile à imaginer, elle est sous l’emprise de son mari qui n’est autre qu’un pervers narcissique.

Voici son histoire..

En mars 2006, Jean-François son mari pète littéralement un câble; il est cloîtré dans sa chambre. il vient de se reconnaître dans une émission radio, il prend conscience de qui il est vraiment, un harceleur moral. Il regrette, il pleure. Bénédicte reste intraitable, dure, elle en a marre et a un sursaut de lucidité; elle veut s’en sortir.

Pour s’évader elle se connecte sur Meetic, procède à des échanges assez hard, elle se défoule, et entre en contact avec Christian, antiquaire qui lui semble différent et lui propose une leçon de tir à l’arc.

Le lendemain, elle passera du virtuel au réel et succombera une seule fois au charme, à la douceur, à la tendresse de Christian qui est l’opposé de son mari. Une seule et unique incartade qu’elle paiera cher, très très cher longtemps durant.

Son salut pourrait-être dans cette rencontre mais l’emprise est réelle.

Comment passer de l’autre côté ? quitter cet avilissement ?

Par l’écriture et en conversant avec son auteur favori. Il est fasciné par le personnage de Bénédicte et nous en livre ici un portrait tout en sensibilité et psychologie. Il incarne de façon incroyable les sentiments et ressentis de son héroïne.

Autre aspect intéressant et autre piste de lecture, Bénédicte Ombredanne est agrégée en lettres et voue une passion à Villiers de l’Isle d’Adam. Un certain parallèle entre la littérature du dix-neuvième siècle et notre héroïne est dressé dans le récit. Sa tenue préférée : ses hautes bottes lacées sur le devant font penser à une Emma Bovary ou Madame Gautier dans « La dame aux Camélias ».

L’intensité de l’écriture donne un rythme de lecture soutenu pour nous décrire la révolte, la colère, l’asservissement de notre héroïne. Une écriture qui nous donne l’occasion de voir le côté féminin développé de l’auteur car j’ai vraiment été surprise de voir avec quelle délicatesse, quelle justesse Eric Reinhardt nous brosse le profil psychologique de Bénédicte emprunt de tant de véracité. Qu’un homme ait écrit ceci avec tellement de tendresse, de douceur m’a soufflé.

Un récit sur la violence conjugale, sujet encore tabou mais tellement actuel, un véritable hommage aux nombreuses femmes souffrant en silence au quotidien de la jalousie maladive de leur conjoint.

J’ai vraiment été émue, indignée, révoltée par la lecture de ce roman passionnant. Un style magnifique, riche. Une écriture fluide qui nous démontre bien le pouvoir et la justesse de mots.

Sans conteste mon plus gros coup de coeur de la rentrée.
Les jolies phrases

En cela je dois admettre que les lecteurs de cette catégorie n’ont pas une attitude ni des attentes fort différentes des miennes : moi aussi j’attends des livres que j’entreprends d’écrire qu’ils me secourent, qu’ils m’embarquent dans leur chaloupe, qu’ils me conduisent vers le rivage d’un ailleurs idéal.

Je voyais mal comment atteindre un bonheur équivalent à celui que j’avais atteint en terminant mon dernier livre, il me paraissait difficile de reproduire les conditions qui permettraient que ce mouvement miraculeux se reproduise.

…comme si soudain l’affaire était jugée et qu’elle donnait à Bénédicte Ombredanne une liberté considérable, au même titre que le verdict d’une erreur judiciaire allège d’un poids inestimable celui qui en bénéficie, sans effacer pour autant les tourments qu’il a subis. Ainsi, contrairement à ce que son mari s’efforçait de lui faire croire depuis des années, sa souffrance n’était pas le produit d’une imagination corrompue par la bêtise, les hormones, la complaisance, l’acrimonie – par les humeurs larmoyantes, insatisfaites, irrationnelles, d’un cerveau féminin, pour reprendre quelques-unes de ses locutions favorites.

Cela veut dire que notre rencontre est juste, qu’elle est portée par la grâce, qu’elle obéit à une profonde nécessité, que vous le vouliez ou non. Cette flèche indique que quelque chose de miraculeux est en train de se produire entre nous, et vous le savez aussi bien que moi.

J’avais besoin de me prouver que je pouvais me dégager de son emprise, prendre des initiatives qui ne concernent que ma personne, secrètement, comme une femme libre. Je n’ai pas capitulé. Je suis toujours vivante. Je suis seule à diriger ma vie, contrairement aux apparences. La beauté, je sais très bien où aller la cueillir, rien ni personne ne pourra plus m’en empêcher d’exercer ce droit, à commencer par mon mari, voire mes enfants, ou le lycée, ou les convenances. Si j’ai envie de faire quelque chose, je le fais.

Car c’est ma grande terreur, c’est que ma vie s’écoule inutilement comme de l’eau d’un robinet qu’on a oublier de fermer, ou d’un robinet qui fuit, quelque chose comme ça, tu vois. a la fin tu reçois la facture, et celle-ci est disproportionnée à ta consommation réelle, ou par rapport à ta consommation consciente, c’est-à-dire que les années passent, l’eau coule, les années passent, l’eau coule, et au moment où tu réalises que ces années ont passé tu t’aperçois que tu n’as rien vécu, ou peu, ou pas suffisamment, et tu t’en veux : tu te dis merde, j’aurais dû faire un peu attention, la facture est de dix années mais j’ai vécu trois trucs marquants, le reste, eh bien, relève de la fuite d’eau, du robinet laissé ouvert.

Tu es libre, les murs de ta prison n’existent pas, tu peux décider de quitter ton mari du jour au lendemain, si tu en as envie.

Dans cette ronde incessante et compacte, culpabilité, douleur, euphorie, révolte, remords, joie, peur, bonheur, désir, excitation, indécision et amertume étaient le linge humide et lourd qui tournoyait dans ses entrailles. Tout se mêlait. Elle avait mal.

Repensons à cette journée comme on regarderait un tableau au musée.

Tu sais, ça prends du temps de savoir qui on est, il faut y réfléchir et dans ce but il faut apprendre à penser, oui, penser, tu m’as bien entendue, donc s’équiper des outils adéquats, acquérir une culture, exercer sa sensibilité et son intelligence.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais été aussi heureuse, ou alors il y a longtemps, dans une autre vie.

Après la nuit qu’ils avaient traversée, une chance unique s’était offerte à Bénédicte Ombredanne de quitter son foyer, tout du moins pour un certain temps, afin de montrer à son mari qu’elle avait repris le dessus et qu’il devait la respecter. Mais elle ne se pose pas la question de savoir si elle le pouvait, si elle devait la saisir : elle se remit d’elle-même dans la routine de sa vie familiale.

Elle sentait bien que ses phrases sonnaient faux, comme si son ame entière était désaccordée, semblable à un piano abandonné depuis longtemps.

….mais en réalité elle ne percevait pas l’effondrement de son mari comme une victoire qui lui offrait la possibilité de faire évoluer leurs rapports, elle le vivait comme la preuve encombrante, honteuse, spectaculaire de sa culpabilité.

Elle réapprit à s’aimer : d’abord timidement, comme à tâtons, sans trop y croire, puis d’une manière de plus en plus affirmée à mesure que les jours s’écoulaient. Chaque fois qu’elle les relisait, elle éprouvait la sensation de se refléter dans un miroir, un miroir où elle avait la surprise, toujours, de se trouver unique et estimable, poétiquement à son goût.

…où la première fois depuis des années elle voyait briller dans ses pensées, ses pensées de nouveau en mouvement, la lueur d’un désir pour la vie, et d’un espoir de renaissance. p199 magnifique

Elle avait adoré ça, à 18 ou 19 ans, lire la nuit dans le silence de leur maison, quand tout le monde dormait et qu’elle était seule à veiller, environnée des ténèbres de la campagne, enfin libre et vivante, éclairée de l’intérieur par le bonheur de la lecture.

Le moment est venu de me rendre. Le bonheur n’a pas voulu de moi, j’ai pourtant tout fait pour le mériter, tant pis, ma décision est prise, j’abandonne.

Avoir été jumelle lui a rendu la solitude insupportable : il était là son problème. elle voulait mourir comme elle était née, avec sa jumelle tout contre elle.

Retrouvez Nathalie sur son blog

http://nathavh49.blogspot.be/2014/10/lamour-et-les-forets-eric-reinhardt.html

partagez cette critique
partage par email