critique de "L'Arbre du pays Toraja", dernier livre de Philippe Claudel - onlalu
   
 
 
 
 

L'Arbre du pays Toraja
Philippe Claudel

Le Livre de Poche
janvier 2016
224 p.  6,90 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
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Une vie..

J’ai été très déçue par ce dernier opus de Philippe Claudel alors que j’avais tant aimé les ouvrages précédents. Le début est prometteur pourtant: la symbolique de l’arbre qui protège les corps des enfants disparus et conduit leurs âmes au ciel, le décès du grand ami qui provoque une peine sincère et de nécessaires interrogations sur « la vie » mais ensuite j’ai l’impression que l’auteur s’égare en mélangeant ses questionnements d’écrivain, de cinéaste, de quinquagénaire (encore amoureux de son ex-femme mais qui finalement a un enfant avec sa jeune partenaire!)et accumule les clichés. Les seuls moments sincères et émouvants sont ceux où il évoque son ami disparu en nous décrit un personnage très attachant. Et une phrase m’a beaucoup plu : « le silence est le dialogue profond de ceux qui se comprennent ». Beaucoup de justesse donc dans certaines pages mais finalement trop peu souvent. C’est dommage.

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coup de coeur

L’arbre du pays Toraja… une belle leçon de vie

Il y a sans doute de multiples manières d’aborder la mort. Il y a aussi de multiples manières de lire le nouveau roman de Philippe Claudel. Pour certains, ce texte traite d’abord des défunts, du chagrin et du deuil, pour d’autres il éclaire les incroyables capacités des humains à surmonter le chagrin, à transcender la mort. Boris Cyrulnik y verra par exemple une nouvelle illustration de la résilience. Et je pense qu’il aura raison, à l’image de la belle idée qui donne son titre à l’ouvrage. L’arbre du pays Toraja sert de sépulture aux enfants de l’île de Sulawesi, en Indonésie. Les petits cadavres sont déposés dans les anfractuosités de son tronc lors de cérémonies qui rassemblent tous les membres de la communauté. « Au fil des ans, lentement, la chair de l’arbre se referme, gardant le corps de l’enfant dans son grand corps à lui, sous son écorce ressoudée. Alors peu à peu commence le voyage qui le fait monter vers les cieux, au rythme patient de la naissance de l’arbre. » Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une tombe, mais d’une vie qui continue à se développer, dont l’arbre se nourrit. S’il porte les stigmates de ce «cadeau», il fait surtout office de «grand cicatriseur». Un chemin qui est en quelque sorte une proposition de guérison pour les parents. Une démonstration que la vie continue… Pour l’écrivain-cinéaste qui perd Eugène, son producteur, ami et aussi inspirateur, le choc est rude. Car ce décès fait suite à l’annonce d’un cancer, une année plus tôt, et du combat contre ce destin qui devient peu à peu inexorable. Quelle injustice pour cet homme qui « avait le talent de me mettre sur des pistes, par livres interposés, quand je travaillais sur un sujet, même si les récits et romans qu’il m’indiquait ne me paraissaient pas, après la première lecture, avoir de rapports directs avec le film que j’essayais d’écrire. » Avant cela, il y avait eu la mort d’Agathe. « Un enfant mort-né. Mort-né, c’est une des formules les plus abruptes de la langue. Définitive. Là encore affaire de distance. Une distance infiniment petite, dont la petitesse signe l’absence puisque les deux extrêmes, naissance, mort, se confondent. Naître mort. Le plus effroyable des oxymores. » Le couple qu’il formait avec Florence n’a pas résisté à l’épreuve, même s’ils sont restés très proches. En ira-t-il autrement avant la voisine du 6e qu’il observe depuis sa table de travail ? La jeune Elena sera-t-elle autre chose qu’un dérivatif ? Car les douloureuses et difficiles questions restent en suspens : comment surmonter sa peine, comment rendre hommage au disparu et surtout comment continuer à vivre. Les superbes pages que nous propose Philippe Claudel apportent en quelque sorte la plus belle des réponses à ses interrogations. À partir de leurs expériences, de leurs souvenirs communs, il imagine une voie qui lui permet d’associer l’absent à son projet, de recomposer un univers. Comme le ferait un réalisateur, un écrivain, un musicien. Aussi n’est-il pas étonnant que l’on croise au fil des pages quelques uns de ces créateurs, de Borges aux Rolling Stones. Au fil du récit, on comprend qu’Eugène vient prendre place aux côtés d’autres disparus qui, à des degrés divers, accompagnent l’auteur dans sa quête, inspirent son Å“uvre – «Nous autres vivants sommes emplis par les rumeurs de nos fantômes». À l’image des enfants de l’arbre du pays Toraja, ces disparus continuent de croître avec lui. Si le récit est très libre dans sa forme, cette suite de réflexions conduit avec beaucoup de poésie et de finesse à cette magnifique leçon qui nous apprend qu’après sur-vivre, on peut re-vivre.

Retrouvez Henri Charles Dahlem sur son blog

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