Le cas Eduard Einstein
Laurent Seksik

Editions 84
août 2013
316 p.  7,60 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
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Un problème non résolu

« Avoir pour père le génie du siècle ne m’a jamais servi à rien ». L’auteur de cette phrase n’est autre que le fils d’Albert Einstein, Eduard, schizophrène dès l’âge de 20 ans, qui passa le restant de son existence, soit 35 années, dans des institutions psychiatriques. Son père avait dit de lui : « Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution.»

C’est le drame d’une incompréhension entre un père et son fils que raconte Laurent Seksik dans ce roman aux allures de triptyque : la voix d’Eduard prise entre les récits de son père et de sa mère, la première épouse d’Albert Einstein, Mileva Maric.

Incompréhension mais aussi solitude d’un homme prodigieusement doué, emprisonné dans une maladie psychique qu’aucun traitement ne parvint à guérir;  mésentente d’un couple, Albert et Mileva, qui explosa laissant une femme amère et deux enfants jeunes, Hans-Albert et Eduard totalement désemparés; douleur d’une mère qui vit son cadet s’enfermer dans la psychose;  isolement d’un génie persécuté par les nazis, traqué par McCarthy, accusé tour à  tour d’être  juif, communiste, pacifiste et père de la bombe atomique. Laurent Seksik brosse le portrait d’êtres malmenés par les épreuves au cœur d’une époque troublée. Il porte aussi  un éclairage inattendu sur l’homme qu’était le génial physicien.

En dépit de quelques longueurs dans les tout derniers chapitres, « Le cas Eduard Einstein »  s’inscrit dans la lignée de  l’excellent « Les derniers jours de Stefan Zweig ».

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Magnifique récit qui se penche sur un coin d’ombre dans la vie d’Einstein, celui de son fils Eduard.

Un récit à trois voix magnifiquement orchestré par Laurent Seksik. On entend tour à tout par le biais de courts chapitres : Mileva, la mère – Eduard, le fils et Albert, le père.

Eduard Eisntein est né le 23/07/1910; C’est un enfant brillant, hypersensible, doué pour la musique, son rêve devenir psychiatre. Il vit avec sa mère Mileva Maric d’origine serbe. C’est la première épouse d’Einstein. Elle vit à Zurich depuis leur divorce en 1914, ayant refusé de s’installer à Berlin avec Albert. C’est une femme brillante, mathématicienne qui a tout abandonné pour se consacrer à l’éducation de ses garçons Hans-Albert (brillant ingénieur) et Eduard. Elle souffre depuis sa jeunesse d’une déformation de la hanche qui la rend claudiquante et l’a fait souffrir. Au fond d’elle, la souffrance de la perte de leur fille Lieserl (née deux ans avant le mariage) est toujours présente.

Elle a tout abandonné pour s’occuper d’Eduard et c’est la mort dans l’âme, impuissante à la violence des crises de son fils qu’elle conduit Eduard ce matin de novembre 1930 à l’asile des âmes en détresse : le Burghölzi de Zurich.

Eduard ne va pas bien, il entend hurler les loups, il se sent habité et devient très agressif. Il a besoin d’aide. Diagnostiqué schizophrène à l’âge de vingt ans, il passera les trente-cinq années restantes de sa vie entre l’asile et l’appartement de sa maman.

Il subira les traitements de l’époque : électrochocs, camisole de force, coma diabétique… Beaucoup de souffrances. C’est difficile d’être le fils de , de ne pas se sentir aimé par son père et peut-être le silence sur l’absence de sa soeur complètement effacée est aussi la cause de son état ?

Albert lui s’occupera financièrement de son fils mais rattrapé par l’Histoire, lui qui était adulé, porté en héros dix ans plus tôt devient ennemi public numéro un par son statut de juif. Il quittera le pays en 1933 pour trouver refuge aux Etats-Unis. La photo de couverture est prise lors de la dernière rencontre avec son fils, on y perçoit la tristesse dans le regard d’Albert. Déchirure, résignation, déception , impuissance de n’avoir jamais su apporter de réponse et solution à la maladie d’Eduard.

Albert a bravé bien des choses ; la gestapo, le FBI qui le prenait pour un communiste, il a soutenu la cause noire, les juifs opprimés. Il n’a pas toujours été le bienvenu dans son pays d’accueil, mais il n’a jamais pu se résoudre à voir son fils.

Un récit palpitant retracant le climat et le contexte historique des années trente en filigranne, le maccarthysme, la ségrégation, la poussée du nationalisme, s’attachant surtout à l’intime de la famille Einstein.

La troisième personne est utilisée pour Mileva et Albert, la première pour Eduard que j’ai trouvé attachant. Un magnifique récit, intense, une plume énergique, très intéressante. Un petit bonheur de lecture.

Ma note : 9.5/10

Les jolies phrases

Un jour, mon père travaillera sur mon cas. À quoi bon une telle intelligence si elle n’est pas mise au service de l’homme ? Celui qui a découvert les grands principes de l’univers ne peut-il travaillersur mon hémisphère droit ?

Il a cru en l’intelligibilité de l’architecture du monde. Il ne peut imaginer un dieu qui récompense et punit l’objet de sa cration. Il a toujours vu la raison se manifester dans la vie. Et la raison n’est plus nulle part dans l’esprit de son fils.

La belle vie est dans la nature humaine. Promenons-nous dans les bois. La formule du bonheur n’est pas dans les chiffres.

Elle ne pose plus de questions. Elle contemple la souffrance dans les yeux de son fils. Par deux fois Eduard a tenté de se suicider. Elle est la compagne de la folie. Elle s’acoquine avec la mort.

Voilà où repose sa seule espérance : tenir.

Papa, tu voulais me donner des leçons, tu apprends enfin la vie. C’est douloureux, n’est-ce-pas, ce poids sur les épaules ?

Se peut-il qu’en un même instant, de part et d’autre d’un océan, une même jeunesse brûle, ici, des cigarettes, là, des livres.

L’arbre généalogique, arraché de sa terre hostile, poussera, régénéré, sur le sol américain. La longue expérience de sa vie le lui a enseigné. En quelque endroit du monde, on prend racine. La terre importe peu. Seule compte ce que dicte notre conduite, ce que célèbrent nos mémoires.

Cela veut dire que tu es sur la bonne vois, Eduard. Le progrès c’est moins percevoir la douleur de l’existence. De se montrer insensible aux turbulences.

Personne n’a jamais compris ce que la disparition d’un proche signifiait. Les plus grands sages se sont penchés sur la question. L’homme a inventé les religions pour trouver la consolation de cette immense tristesse. Jusqu’à présente, nul n’a trouvé de réponse satisfaisante. Cela demeure un des plus grands mystères de l’humanité.

Seule une vie vécue pour les autres est digne d’être vécue.

Les pères engendrent les fils. Mais ce sont les fils qui rendent père leur géniteur, qui font d’eux des hommes.

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