Le duel
Arnaldur Indridason

Traduit de l'islandais par Eric Boury
Points
février 2014
395 p.  7,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Plongeon dans le passé

Ancien critique de cinéma, Arnaldur Indridason n’est pas sans savoir qu’une saga, à l’instar de « Star Wars », s’accommode très bien du désordre chronologique. D’un livre à l’autre, l’auteur islandais aime promener ses personnages fétiches dans le temps, creuser leur passé après avoir exploré leur présent. Après « La muraille de lave », qui voyait son héros Erlendur Sveinsson élucider le sort de son jeune frère disparu, « Le Duel », son douzième roman traduit en français, nous ramène ainsi à l’été 1972. Le taciturne commissaire débute alors tout juste… à la circulation.

Erlendur ne fait ici qu’une apparition hitchcockienne. Le premier rôle revient à sa future chef, la froide et androgyne Marion Briem, que l’on croyait sans âge et sans passions. Sa ville de Reykjavik est soudain le centre du monde. Théâtre du championnat du monde d’échecs entre l’Américain Bobby Fischer et le Russe Boris Spassky, la capitale est envahie d’officiels et de journalistes des deux camps. Dans cette agitation, Ragnar, adolescent un peu simple, est poignardé dans un cinéma, alors qu’il enregistrait la bande sonore du film… La jeune commissaire se fait les dents sur ce qui semble un crime gratuit.

Indridason entremêle le déroulement de l’enquête, celui du championnat et les souvenirs de la jeune femme, réveillés par le destin de la victime. Marion part de petits riens, laisse parler sa logique pour une investigation à l’ancienne, patiente, sans gadgets ni frénésie. On la voit aiguiser ce flair qui impressionnera plus tard Erlendur, mais fait déjà des jaloux. Elle aimerait ignorer le match Fischer-Spassky, sa mise en scène, ses enjeux et ses secrets, mais fait vite les rapprochements qui s’imposent.

A mesure que la lumière se fait sur le crime, elle éclaire aussi ses propres fêlures. Fille illégitime d’un bourgeois trop lâche pour la reconnaître, Marion Briem n’a eu pour famille qu’un vieux pêcheur austère. Jeune fille malade de la tuberculose, elle n’a pas su retenir l’amour de sa vie, la jolie Katrin, rencontrée au sanatorium. Deux grands vides jamais assumés. De la Marion d’hier à l’Erlendur d’aujourd’hui, les héros d’Arnaldur Indridason sont toujours la résultante de leurs souffrances. Infléchies, allégées ou tues avec l’âge, celles-çi les poussent à se dépasser ou à s’amender. Loin d’une nostalgie décorative, le romancier ne dévoile leur jeunesse que pour les voir mûrir et s’endurcir. 

Ce titre fait partie de notre sélection « Cinq polars addictifs » du 29 avril 2014

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