Le soleil des Scorta
Laurent Gaudé

Babel/Livre de poche
Babel
août 2004
283 p.  7,70 €
 
 
 
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Un roman lumineux

Au sud de l’Italie, dans la région des Pouilles, en l’année 1875, un homme entre dans le village de Montepuccio, avec ses petites maisons blanches agglutinées les unes aux autres, surplombant la mer. Pas un bruit ne s’échappe, les habitants demeurent dans leur foyer, fuyant la touffeur du début d’après-midi. L’âne qui porte Luciano Mascalzone avance avec lenteur, croulant sous le poids de son cavalier et celui du soleil qui l’écrase, un peu plus à chaque pas. L’homme, un bandit notoire, est connu de tous ici. Ayant purgé sa peine, il revient sur le lieu de son arrestation. Il sait bien qu’il n’est pas le bienvenu ici, le risque est grand mais l’homme n’a plus rien à perdre. Ce qu’il souhaite par dessus-tout est d’assouvir son désir pour Filomena Biscotti. La posséder enfin. L’idée l’obsède depuis quinze ans.
Méprise et péché auront raison de Mascalzone; il sera tué à coups de pierres, jetées sur lui par la population en colère. Un enfant naîtra dans le rejet de tous, d’un père assassiné et d’une mère morte en lui donnant la vie. Grâce au curé de Montepuccio, cet orphelin sera placé dans une famille de pêcheurs dans un autre village. Premier chaînon de la lignée des Scorta, Rocco sèmera la discorde autour de lui. Il vivra de contrebande et de bassesses, deviendra riche, épousera une femme sans nom, la Muette et aura trois enfants, deux garçons Giuseppe, Domenico et une fille Carmela.
Génération après génération, la famille Scorta avance sur un chemin aussi tortueux et sec que le tronc des oliviers, arbres qui tapissent les collines environnantes. L’existence de chacun, liée indéfectiblement les unes aux autres dans un même destin, est noueuse, faite de difficultés, de misère, de pauvreté, de souffrance, et de fraude. Et, comme cet arbre à la longévité hors du commun, ils marchent dans les pas de leurs ancêtres, et tentent de les dépasser en se transmettant des choses, pour ne jamais briser la chaîne de vie. Ils enterrent leurs morts avec tristesse et pudeur mais avec espoir en l’avenir.
L’écriture de Gaudé est sensuelle et évocatrice ; le parfum des tomates séchées, de l’huile d’olive sur une tranche de pain, des poissons grillées et autres aubergines, le bruit du ressac, des joyeux tintements de couverts et des cascades de rires lors d’un banquet mémorable et celui de la fureur des hommes, la chaleur enveloppante de l’astre solaire, la poussière balayée par le vent, la lumière qui inonde le village, le coeur sombre de certains, l’amour qui transpire, les coudes serrés, le poids du secret et de l’héritage, une main paternelle caressant les cheveux de sa fille, les paysages arides, les barques des pêcheurs glissant silencieusement sur l’eau, la beauté d’un visage, la douceur d’un regard, la bienveillance d’un curé, la colère tapageuse et dévastatrice… et la voix de Carmela qui s’élève enfin pour transmettre, léguer, apporter son savoir. Que l’autre, le prochain, soit plein du souvenir de ceux qui l’on précédé. Ce qui l’aidera à grandir, à s’épanouir, à poursuivre un temps la même route – comprendre allègera son bagage – et s’envoler peut-être vers d’autres contrées, n’ oubliant cependant jamais ses racines.
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