Le Soleil
Jean-Hubert Gailliot

Prix Wepler-Fondation La Poste
Points
août 2014
543 p.  8,40 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

A la recherche du manuscrit perdu

« Le Soleil » de Jean-Hubert Gailliot, qui vient de remporter le prix Wepler-Fondation La Poste, est un roman à la recherche d’un autre roman intitulé « Lesoleil » (orthographié sans espace), un texte énigmatique, vieux de cent ans, qui selon sa légende « éclairerait le siècle passé et l’histoire de ses avant-gardes artistiques ». Après avoir circulé mystérieusement entre les mains de créateurs révolutionnaires -le photographe Man Ray, le poète Ezra Pound et le peintre Cy Twombly – il aurait été volé par des gamins en 1961 de façon rocambolesque dans l’atelier de ce dernier à Mykonos. Puis il aurait disparu.

Une éditrice en mal de coup éditorial offre 100.000 euros à un de ses auteurs, Alexandre Varlop, pour retrouver la trace de cet hypothétique manuscrit. De Mykonos à Formentera, en passant par Palerme, son enquête le mènera sur des chemins très inattendus où les rêves se déchiffrent et les mensonges se dévoilent. Nous suivons alors Varlop, accompagné d’une jeune femme photographe, à la recherche non seulement de cet «absolu de littérature», mais à la découverte de la «génération perdue» comme la qualifiait Gertrude Stein, dont Man Ray, Pound, Lee Miller et bien d’autres faisaient partie. Entre manipulations et duperies tout cela ne serait-il pas qu’un canular, voire une sombre escroquerie ? N’a-t-on pas lancé Varlop à la poursuite d’un faux ou d’une simple rumeur ?

Tout l’art de Jean-Hubert Gailliot, car il s’agit bien ici d’art, consiste à pactiser autant avec les ombres qu’avec la lumière. Sa langue foudroie de ses mots. Il « solarise» son lecteur par ses fulgurances stylistiques, à l’instar de Man Ray et de son célèbre procédé photographique qui en ouvrant la lumière dans une chambre noire lançait un défi à la réalité en la révélant tout autre. Au cœur de cette quête imaginaire et poétique, on se sent comme Varlop « immobile, au milieu d’un courant violent ». Le flux puissant des images et des mots de Jean-Hubert Gailliot marque notre esprit au fer rouge comme dans la soixantaine de pages teintées de rose au cœur du livre lui-même. Passage tout aussi onirique qu’érotique, dont nous ne vous dirons pas plus, car c’est une expérience sensorielle peu commune et des plus déconcertantes comme celles pratiquées par le personnage troublant d’Evgéniya Romanov, princesse russe en exil, enfant géniale, solitaire et masochiste.

Articulé ou plutôt habilement « désarticulé » en trois parties dont les titres font irrémédiablement penser à Ian Fleming – « Opération Mykonos », « Le rendez-vous de Palerme » et « Embuscade à Formentera » – ce bouillonnant récit parfois obscur et tourmenté, s’achève de façon apaisée à la terrasse du Sentimental Sunset de Calasaona sur des réflexions lumineuses autour de « l’épiphanie du langage » et de révélations où « Splendeur, tout s’accorde ! ». Nous donnerons le mot de la fin à Jean-Hubert Gailliot : « L’errance s’achève, mais elle n’a pas eu de commencement. Après, quand c’est fini, c’est autre chose. On peut commencer à raconter l’histoire».

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