L'Echange des princesses
Thomas Chantal

Points
août 2013
 7,40 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
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Le projet fou du régent

Eté 1721, depuis six ans, Philippe d’Orléans dirige le royaume de France. Pour neutraliser l’Espagne et peut-être assurer une pérennité à son pouvoir, le Régent conçoit un projet aussi astucieux qu’audacieux : marier le jeune Louis XV à l’infante, Anna Maria Victoria de Bourbon à la condition expresse que sa propre fille, Louise Elisabeth d’Orléans, mademoiselle de Montpensier, épouse le prince des Asturies, don Luis. Qu’importe l’âge des protagonistes, respectivement 11 ans, 4 ans, 12 ans et 14 ans, la matière relève de la haute politique et peut assurer la paix en Europe.

L’alliance se matérialise le 9 janvier 1722 par « l’échange des Princesses » qui gagnent chacune leur pays d’adoption. Louise Elisabeth affronte l’austère rigorisme religieux hispanique et des autodafés « offerts comme un régal », Anna Maria Victoria les intrigues feutrées du vieux Louvre ou de Versailles. Là où mademoiselle de Montpensier  s’adonne à des accès de gloutonnerie qui ressemblent à s’y méprendre à de la boulimie et se perd dans des errements, la Reine de France en herbe séduit l’aristocratie à défaut de son époux.

Mais l’Histoire ne se déroule pas comme prévu. La mort de Philippe d’Orléans met un terme à ses combinaisons et les malheureuses princesses sont renvoyées dans leurs foyers comme de vulgaires erreurs diplomatiques.

Avec le talent qui est le sien, Chantal Thomas nous fait pénétrer au cœur de la vie des familles royales où la descendance était tout et les alliances entre les maisons  les tenants de la politique. Des us et coutumes, de la dureté du quotidien – voyages pénibles et interminables, maux physiques insoutenables – des complots et passions qui s’épanouissaient dans l’atmosphère délétère des palais, l’auteure n’ ignore rien, comme cette cruauté qui fait dire à l’un de ses personnages, admirablement croqués, la Palatine : « La Cour est une mécanique effroyable, elle nous caresse, a l’air de nous aduler, en fait vampire sournois, elle nous pompe le sang. »

Plume raffinée, figures ciselées, documentation sûre – Chantal Thomas s’appuie sur les archives historiques de Madrid pour l’essentiel inédites – font de « L’échange des Princesses » plus qu’un ouvrage historique réussi un roman de chair et de sang passionnant.

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Vies de princesses : la fin des rêves

Voilà qui devrait passer l’envie aux petites filles de se rêver en princesses… J’avais entendu beaucoup de bien de ce roman lors de la rentrée 2013 – il était d’ailleurs en lice pour le Goncourt, entre autres – et je suis heureuse que sa sortie en poche lui ait redonné de la visibilité sur les tables des librairies, se rappelant ainsi à mon bon souvenir. Un roman historique comme je les aime, qui s’attache avant tout à explorer les émotions et les sentiments pour mieux donner à voir l’époque avec ses contraintes derrière la splendeur. Chantal Thomas nous offre une plongée époustouflante dans les arcanes de la monarchie et les recoins des palais royaux dont on sort quelque peu ébouriffé…

Nous sommes en 1721. A onze ans, Louis XV est en « formation » au métier de roi qu’il sera amené à exercer à sa majorité, prévue en ce temps à 13 ans. Pour tenter d’apaiser une fois pour toutes les relations entre la France et l’Espagne, Philippe d’Orléans, qui assure la Régence met au point un plan infaillible. Une double union, la première entre l’une de ses filles, Mlle de Montpensier et l’héritier du trône espagnol, la seconde entre Louis XV et l’Infante d’Espagne. Une princesse française échangée avec une princesse espagnole afin d’entremêler les liens entre les deux pays et les rendre plus difficiles à casser. Dans les deux palais, on applaudit, on se réjouit et les préparatifs démarrent.

Des pions politiques, des marionnettes, voilà ce que sont ces princes et ces princesses auprès desquels on se presse, on se bouscule, on se dispute quelques faveurs. Mais le plus effrayant, c’est leur âge. Onze ou douze ans pour les garçons. Douze ans pour Louise Elisabeth de Montpensier et… quatre ans seulement pour Anna Maria Victoria, la fille de Philippe V d’Espagne, future reine de France.
La réussite du livre tient à la façon de créer le lien entre le lecteur et chacune des deux princesses et d’opposer continuellement le ressenti des enfants avec les enjeux politiques qui guident les comportements autour d’elles. L’auteur nous décrit une Infante presque monstrueuse, attitudes, mimiques et paroles de reine dans un corps d’enfant ; préoccupations d’adultes et jeux d’enfant. Un paquet livré au petit roi bien ennuyé face à celle qu’il considère comme un bébé et bien éloignée de ses considérations à lui, comme la chasse par exemple. En Espagne, la situation n’est pas meilleure. Louise Elisabeth, déjà en manque d’affection dans sa famille ne risque pas de rattraper son retard auprès des membres de l’austère et très catholique famille royale d’Espagne.

Le tableau de la monarchie peint par Chantal Thomas est assez effrayant. Jeux de pouvoir, courtisans, tactiques politiques… On connait tout ça mais, vu à travers le prisme quotidien d’enfants éduqués pour régner, ça fait froid dans le dos. Alors, chacun à sa façon tente de s’évader psychologiquement, de trouver le moyen de supporter ce que l’on attend de lui. Et de faire bonne figure, quoi qu’il arrive.

Un livre passionnant, qui se lit avec plaisir, presque comme un polar tellement on est suspendu à la question de l’avenir des deux princesses. Et que l’on referme en remisant très loin ses rêves d’enfant et en se disant que finalement, le XXIème siècle, c’est pas si mal.

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