L'écrivain national
Serge Joncour

Editions 84
août 2014
380 p.  8 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Un voyage sans surprise

Dans le nouveau roman de Serge Joncour, le narrateur ressemble étrangement à son auteur. Il porte le même prénom – Serge –, il est romancier, a écrit un livre intitulé « UV »… Avec « L’Ecrivain national », Serge Joncour se lance dans l’autofiction. Ce n’était pas forcément une bonne idée.

Alors qu’il n’est pas très enthousiaste à l’idée de commencer sa résidence d’un mois à Donzières, petite ville du centre de la France, à peine arrivé, l’écrivain Serge se passionne pour un fait divers qui divise la région. Henri Commodore, vieux maraîcher à la retraite, très riche selon les rumeurs, s’est volatilisé. Les soupçons se portent vite sur Aurelik et Dora, deux jeunes d’Europe de l’Est arrivés dans la région quelques années plus tôt, et voisins du disparu. Les habitants de la petite ville ne portent pas les deux jeunes dans leur cœur. Ceux-ci habitent au beau milieu de la forêt, ils sont coupés de tout et taxés de marginaux.
Tombé sous le charme de la belle Dora – dont il a découvert le visage pour la première fois dans une gazette locale – Serge décide de mener sa propre enquête. L’écrivain se détourne de plus en plus du rôle qu’il doit endosser durant les quelques semaines où il est invité à Donzières. Promouvoir la région, animer des ateliers d’écriture, écrire un feuilleton…  Au lieu de cela, ses prises de risque, bagarres et coups de foudre, font jaser les habitants. Serge prend la tangente, son amour pour Dora lui donne des ailes. Il se réjouit de quitter cet habit de « type docile, toujours disposé à donner un coup de main » pour devenir « ce type solide et assuré » qu’il a toujours rêvé d’être.

« L’Ecrivain national » ressemble  à un voyage sans encombre. C’est un roman qui se lit agréablement mais qui ne réserve pas de surprises – ni bonnes ni mauvaises, d’ailleurs. Certains aspects de l’histoire sont un peu exagérés, comme l’amour immédiat que Serge ressent pour Dora, uniquement à travers une mauvaise photographie d’un journal local. « L’Ecrivain national »est un gentil thriller, qui ne ferait pas de mal à une mouche, mais qui divertit le lecteur. 

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coup de coeur

De l’utilité des résidences de littérature

« – Je vous demande de réserver un accueil chaleureux, je dirais même triomphal, à celui que je me permets d’appeler Notre écrivain, oui de dis Notre écrivain, car pendant plus de trois semaines il sera à vous, à vous tous, et en votre nom je tiens à le remercier de ce temps précieux qu’il va nous accorder, d’ailleurs je le lui dis en face, merci, merci à vous d’être venu, nous sommes fiers, croyez le bien, d’inaugurer cette session de résidence d’auteurs avec un écrivain national, et je compte bien que vous parliez de Donzières dans votre prochain roman, que vous montriez notre ville sous son meilleur angle, du reste elle n’en a pas d’autres… » (p.36)
Le contrat est affiché dès la réception à l’hôtel de ville pour l’écrivain national : faire de ce rituel des lettres françaises un hymne à la gloire de la commune d’accueil, voire une ode à la gloire de la municipalité et aux projets du maire.
Si Serge Joncour réussit très bien son coup dans ce roman, c’est parce qu’il va faire exploser complètement ce mandat, en nous dévoilant ce qui ce cache derrière les volets de cette agréable cité du Morvan.
Parachuté depuis Paris par la grâce du rencontre avec un couple de libraires passionnés qui se démènent pour faire vivre leur librairie et promouvoir les auteurs, l’écrivain est accueilli avec curiosité. Entre réceptions, ateliers d’écriture, séance de signatures, exposé dans des écoles, son programme va être un peu chamboulé par un faits divers : la disparition d’un retraité et l’arrestation de l’un de ses voisins, soupçonné du meurtre. Si notre écrivain est attiré par cette histoire, c’est qu’il sait pertinemment que si la réalité dépasse souvent la fiction « elle est bien moins bavarde, bien plus dissimulée. »
Voulant en avoir le cœur net, il va se rendre dans la ferme ou vivent Aurélik, qui est derrière les barreaux, et Dora. Une belle jeune femme pleine de mystères, qui va très vite la fasciner et l’obséder : « Au-delà de ses traits, cette fille m’attirait parce qu’elle était dans une situation impossible et qu’elle se hissait au rang supérieur de ces humains qui bataillent avec le tragique. » (p. 78)
Une opinion que sont bien loin de partager les habitants pour qui, « Aurélik et Doro, en plus de ne pas être d’ici, portaient tous les maux de la terre. »
Mais le bon écrivain – comme le bon enquêteur – se reconnaît à son sens de l’observation, à sa capacité à remettre en question les vérités établies et à déjouer les préjugés. Dire que Serge Joncour y parvient admirablement, c’est à la fpis lui tresser des lauriers bien mérités et promettre au lecteur quelques rebondissements dont il se régalera. Ah, si toutes les résidences de littérature pouvaient donner d’aussi belles œuvres !
Retrouvez Henri Charles Dahlem sur son blog 

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Un livre dont chacun de nous est le héros

Le titre ne laisse pas de surprendre. L’écrivain… national. Drôle d’association. Inhabituelle, en tout cas. Un écrivain peut être, à la rigueur, régional, ou bien français ou de n’importe quelle autre nationalité… mais national ? Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?

Dans son dernier roman – le premier que je lis de lui -, Serge Joncour imagine un écrivain invité pour un mois en résidence d’écriture dans le centre de la France. C’est le maire de la bourgade qui l’accueille qui le gratifie de cet étonnant qualificatif devant ses administrés. L’écrivain se voit ainsi affublé d’un titre aussi pompeux que ridicule, qui moque l’aura particulière que l’on prête volontiers à ses congénères, qui l’embarrasse singulièrement et qui augure immédiatement des questionnements existentiels qui vont le tarauder !
Car au fait, qu’est-ce qu’un écrivain ? Et d’abord, à quoi ça sert ? Qu’attend-on de lui ?

L’auteur pose d’emblée la question dans les premières pages de son roman, avant de nous embarquer dans une réjouissante mise en abîme où le lecteur autant que l’écrivain sont amenés à s’interroger sur la relation respective qu’ils entretiennent avec le texte, la fiction et la réalité.

Invité par la municipalité – qui «aurait largement préféré un handballeur ou un judoka»-, un écrivain arrive dans une ville dont un hameau voisin vient d’être le théâtre d’un crime ; il se rend sur les lieux supposés du drame, et les signes qu’il découvre matérialisent ce qui n’était jusqu’alors qu’un récit lu dans un journal. «Je n’étais plus dans cette distance prudente que sécrètent les histoires tant qu’on ne fait que les lire.» Ce qui se tenait derrière des mots s’insinue en lui, presque à son corps défendant, pour devenir une réalité, sur laquelle il va à son tour mettre ses propres mots, que nous lecteurs sommes précisément en train de lire…
Pour brouiller encore un peu plus les pistes, Joncour attribue à son héros la paternité d’une oeuvre littéraire portant le titre d’un livre qu’il a lui-même écrit…
Il s’amuse également à nous mettre en scène, lorsqu’il évoque des séances de rencontres entre l’écrivain et son public. Celui-ci l’interroge sur son rapport au réel et sa capacité à inventer. Ne rôderait-il pas autour du lieu du crime «dans le dessein de s’inspirer de cette histoire»? Tout partirait-il nécessairement du réel ? Faudrait-il «vivre avant d’écrire» ?

Et c’est bien la question que nous finissons immanquablement par nous poser : les lignes que nous lisons sont-elles pure invention qui permet d’interroger le lien avec un hypothétique réel, ou bien constituent-elles le journal d’un événement que l’auteur, qui a peut-être été lui-même invité en résidence d’écriture, aurait réellement vécu et qui donnerait lieu à la création d’une oeuvre dont nous sommes précisément en train d’assister à la genèse. Nous serions alors dans une forme parfaitement aboutie d’autofiction, dont l’enjeu ultime serait la création de l’oeuvre que nous sommes en train de lire.

Joncour joue avec humour, humilité et avec une délicieuse virtuosité sur ce thème. C’est avec un véritable plaisir que je me suis laissée entraîner dans sa construction littéraire et je me suis fort amusée, tout au long de ma lecture, à me demander constamment à qui j’avais affaire: l’auteur, le narrateur ou le héros du livre ?
Je ne saurais dire quelles sont les parts de réel et d’imaginaire dans ce livre et, à vrai dire, je m’en moque. Quoi qu’il en soit, j’ai été touchée par ce portrait de romancier sillonnant la France pour rencontrer des lecteurs se comptant parfois sur les doigts d’une main, capables de se montrer extrêmement sévères et intrusifs. Des expériences que partagent certainement bien des écrivains qui ne font pas partie du club très fermé des auteurs de bestsellers…

Quant aux questions posées plus haut, moi, lectrice, je n’ai pas de réponse définitive. Mais une chose est sûre: je suis redevable aux écrivains de m’offrir les instants parmi les plus lumineux et les plus riches de mon existence. Sans leurs livres, la vie me paraîtrait bien fade. Qu’ils en soient remerciés.

  Retrouvez Delphine Olympe sur son blog     

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