Les Brumes de l'apparence
Frédérique Deghelt

Le Livre de Poche
mars 2014
384 p.  7,90 €
ebook avec DRM 8,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Au-delà des apparences

À quarante ans, Gabrielle a visiblement tout ce qu’elle désire : un mari chirurgien plastique formidable et séduisant, un fils adolescent sans problème, un métier dans la communication qui lui plaît. Elle s’épanouit dans cette vie moderne, dans ce tourbillon qu’elle appelle, pompeusement peut-être, la vie. Parisienne, elle ne jure que par l’urbain et exècre tout ce qui touche, de près ou de loin, à la nature. Alors, lorsqu’elle apprend qu’elle hérite d’une masure délabrée à la campagne, un terrain au milieu de nulle part, dans une région de France dont elle ignore tout, et à des heures de la capitale, l’affaire est déjà pliée : elle veut vendre, et vite. Garder ces hectares de forêt est hors de question. Elle doit cependant faire le voyage pour effectuer la transaction immobilière. Loin de tous, seule et sans réseau, on lui refuse une chambre d’hôtel et elle est contrainte de dormir sur son terrain. Cette nuit là, des choses étranges se passent. Un parfum de fleurs, une baignade dans la rivière, la sensation d’être épiée, et surtout, ce sentiment de plénitude et d’amour qui l’habite… Et puis un rêve inquiétant, et tout s’accélère. D’étranges rumeurs courent dans le village. On lui dit que son terrain est invendable : surnommée « la terre des sorciers », elle serait hantée par les esprits des guérisseurs. Gabrielle n’y croit pas, jusqu’à ce que ses cauchemars deviennent réalité, et qu’elle découvre être la nièce d’une guérisseuse, et peut-être l’héritière d’un don de clairvoyance : la faculté de voir les morts et de soigner.

On ne sait pas bien quand le malaise s’installe, mais il est tenace, jusqu’à la fin. D’ailleurs, au quotidien, il suffit seulement d’évoquer les esprits ou les âmes, – qu’importe, leur nom n’a pas d’importance – pour qu’un rire fuse, ou que l’on change de sujet inopinément. Oui, parler d’un au-delà dérange… mais pas Frédérique Deghelt, qui laisse à son héroïne le temps de douter, de se rétracter, de refuser de valider l’incroyable. Issue d’un milieu privilégié, Gabrielle n’ose pas parler de ce qui lui arrive, de peur de passer pour folle. Sa vie bascule, mais à qui se confier sans paraître ridicule ? Comment aller de l’avant, quand tout ce qui la rattachait à sa propre vie semble s’écrouler ? Chaque promenade nocturne, chaque rêve inquiétant est prétexte à poser les questions angoissantes qui nous taraudent. Le portable éteint, loin de la ville et des autres, les pensées de l’héroïne jaillissent, imprévisibles. « Est-ce que je suis dans un monde qui ignore à ce point le sentiment, qu’il prend des manifestations d’affection pour preuve d’une santé mentale défaillante ? »
Si Gabrielle avance à tâtons, l’auteure maîtrise parfaitement ce sujet inédit et délicat. Se glissant entre les croyances irrationnelles et les signes tangibles, elle pose la question de la différence, de notre effroyable intolérance face à ce qui nous est éloigné. Peu à peu, son héroïne laisse son rassurant quotidien s’effondrer, et va devoir faire face au désarroi de ses proches, à leur incompréhension surtout, d’une violence extrême, presque insensée. Elle découvre deux mondes opposés, celui de l’irrationnel, de l’ouverture et du possible, face à notre quotidien, follement étriqué. « Oui, il nous arrive des choses extraordinaires. Mais on les rejette d’emblée, parce qu’elles nous font peur et que l’on nous dit que c’est impossible », nous dit l’auteure. Sur un ton philosophique et profondément humaniste, Frédérique Deghelt nous pousse à prendre conscience de l’essentiel, bien au-delà des apparences.

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 Les internautes l'ont lu

Un livre acheté en février 2014 lors de la rencontre de son auteure à la Foire du livre de Bruxelles. J’avais adoré « La grand-mère de Jade », la sensibilité de cette belle plume. Je vous emmène dans un registre différent, à la rencontre d’un monde plus obscur : « les médiums /la vie après la vie » .

Gabrielle, parisienne va avoir quarante ans. Elle est mariée à Stan, un chirurgien esthétique et est mère d’un grand ado Nicolas. Elle travaille dans l’événementiel.
Elle hérite d’un terrain et d’une masure à St Maboul-les-Oies en province. Elle se rend sur place pour organiser la vente de ce bien et rencontre Jean-Pierre, un agent immobilier. Ils deviendront amis et cette rencontre changera sa vie.

Par la force des choses, elle sera contrainte de passer une nuit sur place et découvrira la beauté étrange mais aussi menaçante des lieux. Elle s’endormira là-bas, seule, isolée du monde (sans réseau téléphonique) et son sommeil peuplé de rêves, de présences, d’odeurs de fleurs blanches la poursuivra.

Elle est cartésienne, mais sera obligée d’admettre l’inadmissible dans les jours qui suivront suite aux circonstances. Gabrielle a un don, elle est medium et entretient des relations avec l’au-delà.

Une seconde maison se trouve sur ce terrain, elle semble maléfique, des phénomènes étranges et désagréables s’y produisent.

Voilà le décor est planté. Gabrielle, dans un premier temps ne veut pas y croire mais elle sera obligée de l’accepter. Elle va nous emmener dans diverses réflexions et si la vie ne s’arrêtait pas lorsqu’elle s’arrête selon nous. Et si nous n’étions pas du « matériel physique » mais de l’impalpable, une connection entre ces deux êtres. Un bien vaste débat.

J’ai par moment eu l’impression que je lisais Didier van Cauwelaert qui puise souvent son inspiration dans ce domaine.

Un récit à lire avec un regard ouvert sur les perceptions de chacun. D’aucuns le trouveront farfelu, tiré par les cheveux, d’autres l’adoreront. A chacun sa vision. La perception dépendra des croyances de chacun.

La lecture fut agréable, l’histoire est bien construite ; mystère, suspense, intrigues menées du début à la fin. Un bon choix des mots. Une jolie plume fluide et sensible.

Les interrogations sont bonnes. Ce récit incite vraiment à la réflexion, la remise en cause du bien fondé de la vie, un élément peut faire tout basculer en fonction de la perception de chacun.

Ma note : 8/10

Les jolies phrases

Personne n’est irremplaçable et ceux qui pensent le contraire auront mille fois l’occasion de constater qu’ils se trompent.

Avoir peur pour de faux, comme disent les enfants, nous protège de nos véritables angoisses.

Telle une gamine, j’éprouve la joie profonde d’être seule, oubliée, dans ce morceau de nature que je dois vendre au plus vite.

J’aimerais connaître les arborescences de ma vie, qu’elles m’apparaissent, comme une gigantesque carte des possibles où je contemplais avec gourmandise mes abandons, les routes délaissées au fil des incertitudes, les histoires avortées.

Comme si je pouvais me fondre dans chaque être qui m’entourait tout en demeurant une entité distincte.

La peur, c’est toujours et avant tout l’ignorance, la rencontre de l’inconnu. Affronter sa peur, c’est refuser de souscrire à sa propre ignorance. Mais si cette ignorance est également celle des autres, c’est pire encore. On se sent très seul à désirer un partage ne suffirait pas.

Les rapports humains dans le monde des affaires tiennent à ces petits détails inhumains dont il faut jouer pour être pris au sérieux.

Est-il possible en vingt-quatre heures de passer dans un monde où l’on devient une personne qui n’est plus en accord avec ses propres pensées ?

Nous avons lié comprendre et croire, savoir et choisir, expliquer et agir. Ce n’est pas nécessaire. Vois-tu, je sais ce que je sens, même si je ne peux pas l’expliquer. Je choisis la voie qui donne de la cohérence à mon existence même si je ne sais pas tout, j’admets sans comprendre, et, si je me suis trompée, je ne le saurai jamais.

Je n’avais pas de souci majeur, j’étais comme protégée, et alors … Certaines vies sont ainsi : elles avancent au milieu des tempêtes, tout autour, d’autres souffrent, tombent, disparaissent, luttent, et ce n’est pas leur problème. Les maladies, la fatalité, les vies malmenées, tout est imputable au hasard, au travail, à la chance plus ou moins provoquée selon les jours, au bénéfice du doute.

Tu le comprendras, on ne risque rien à devenir ce que l’on est déjà. On connaît la valeur de la vie et ce que cela peut apporter d’être au monde. Il ne faut mettre de l’énergie qu’à être soi-même. Se trouver reste la clé.

C’est la peur qui l’a guidé, il m’a crue réellement folle. Je n’y arrive pas. Je suis anéantie par la peine. Je n’ai même pas de colère.

Cet appartement que j’aimais tant était devenu du carton pâte, le révélateur de mon aveuglement.

Quand ceux qu’on croyait fiables vous renient sur la parole d’un seul, qu’espérer ?

Ainsi, les autres savaient déjà que l’homme que j’aimais était amoureux d’une image inchangeable.

Les amis réparent les blessures irrémédiables … Etre rejetée m’a poussée à vouloir tester ceux qui désormais seront à mes côtés, sans faire semblant.

C’était une vérité et, comme toute vérité, ça n’avait rien d’une croyance. Un jour, j’en étais persuadé, ce quelque chose appartiendrait à la connaissance, à la science à l’explicable. Je me disais que j’avais en quelque sorte visité l’Amérique avant la découverte de Christophe Colomb et que le paysage là-bas était à la fois semblable et complètement différent de celui-ci.

La vie est comme un tableau, on y voit ce qu’on ne croyait pas avoir peint.

Si l’on doit admettre que ce qui ne se voit pas n’existe pas et ne mérite pas de nom, alors votre naïveté est sans bornes.

L’amour nous entraîne sur les chemins de l’idéalisation et le désamour plein de griffes sur ceux de la défiguration.

Pour l’instant, j’ai déchiré le papier peint de mon existence et rien ne pourra me faire renoncer à cette envie de voir en dessous et peut-être de l’abattre.

Les religions du monde entier n’ont aucun intérêt à ce que le pouvoir, dont elles ont fait un usage démesuré à toutes les époques et dans tous les pays, leur soit retiré.

La peur ancestrale de notre véritable nature, c’est la peur de l’inconnu. C’est toujours la peur qui déterminera la violence et la fermeture de l’esprit.

Etre le méchant prépare en douce l’avenir du futur adulte à ne pas combattre un désespoir obscur qu’il a adopté depuis l’enfance.

La mauvaise foi, ce n’est pas se tromper de croyances c’est faire penser aux autres qu’on n’a rien compris.

L’après vie appartient aux religions et notre vie corporelle aux médecins. Deux colossales maisons se partagent ainsi un pouvoir indiscutable et jamais remis en jeu sur la totalité de notre vie.

Est-ce que je me rendais compte de ce que ça peut être, offrir à quelqu’un quelque chose qui est réellement une surprise pour lui, une surprise à laquelle on a pensé en se demandant ce qui va pouvoir vraiment lui donner du bonheur?

Le doute est une chose terrible parce qu’on ne sait pas très bien comment il grandit ni à quel moment il fout en l’air toutes nos certitudes. Mais ce dont on peut être sûr, c’est que pour l’éliminer, il faut aller le chercher à la racine. La fragilité qu’induit en nous le doute finit par peser une enclume.

L’anéantissement d’un être humain n’est rien si celui qui lui porte amour et compassion peut lui redonner de la confiance, de l’espoir, voire de l’espérance.

Je vais vivre et non plus exister.

Retrouvz Nathalie sur son blog

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La guérison des âmes

Gabrielle est une femme moderne et dynamique. A l’aube de la quarantaine, elle a réussi une belle carrière dans l’événementiel, épousé un chirurgien esthétique, gagné de l’argent, elle est entourée d’amis et tout semble lui réussir.
Elle évolue dans monde rationnel, parfaitement maîtrisé où les apparences facilitent le pouvoir. Ces apparences qu’il faut préserver à tout prix sont recherchées par les patientes narcissiques de son mari, par leur entourage bourgeois et huppé, par ces clients qui viennent la voir pour acheter des fêtes et lui commander une image professionnelle valorisante.

C’est une femme qui refuse l’abandon, trop dangereux, et choisit de gommer la partie la plus sensible de sa personnalité pour fuir toute vulnérabilité. A l’occasion d’un héritage imprévu et à l’inverse de l’héroïne de la Vie d’une autre, Gabrielle va acquérir une nouvelle mémoire. Contactée par un notaire, elle, la citadine, se rend au fin fond de la campagne pour vendre au plus vite le bout de forêt qui lui a été légué. Rapidement, elle réalise que ce legs est bien plus riche et complexe qu’il n’y paraît.
Elle rencontre une tante dont elle ignorait l’existence et la présence sur place d’ancêtres encore plus mystérieux. Outre les bois et deux bâtisses en ruine, il y a là tapi, quelque chose de sombre et d’effrayant mais aussi beaucoup de lumière, des secrets, des croyances, une tradition familiale et un environnement qui tout à coup vont provoquer la libération de l’héroïne, à travers un changement radical qui se fera bien malgré elle au début, avant de l’accepter pour devenir un être complet et authentique.

Encore un beau personnage féminin, complexe, dont le conflit psychologique interpelle personnellement chacun de nous dans un monde qui valorise l’efficacité et le contrôle. L’écriture évolue – beaucoup – au fil des romans pour devenir toujours plus précise et élégante.
Saluons le courage de Frédérique Deghelt qui ose aborder le thème de la vie après la mort au risque de décourager certains lecteurs mais ces lecteurs là gagneront, tout comme Gabrielle à se laisser aller, en acceptant de s’ouvrir à l’irrationnel le temps d’un roman. Au-delà du plaisir de la lecture, assuré, le roman favorisera en chacun une introspection positive et qui sait, peut-être aussi le désir de participer à la guérison des âmes blessées.

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