critique de "Les chiens de Belfast", dernier livre de Sam Millar - onlalu
   
 
 
 
 

Les chiens de Belfast
Sam Millar

Traduit par Patrick Raynal
Points
janvier 2014
282 p.  7,10 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Sous le béret de Robin Cook

De 1982 à 1984, Robin Cook illumine de son talent la célèbre Série Noire avec trois sombres histoires. « Le Soleil qui s’éteint », « On ne meurt que deux fois » (qui faillit obtenir le prix Médicis) et « Les Mois d’avril sont meurtriers », écrits par cet étrange Anglais devenu adepte du béret basque et de la culture française après une vie mouvementée et agitée, ont vitaminé le polar de la fin du 20ème siècle. Pour une raison à la fois sociétale et stylistique : avec son stylo, Robin Cook fouillait au scalpel la noirceur et le machiavélisme de l’âme humaine, tout en étant d’une habileté diabolique pour construire et conduire ses histoires, retenir le suspense sur le fil du rasoir et faire semblant de résoudre des crimes inexpliqués et surtout inexplicables. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Avec l’arrivée du 21ème siècle, l’influence de Robin Cook se fait encore sentir dans la production de littérature policière actuelle vingt ans après sa mort prématurée. Un peu comme s’il était toujours une référence, une star du crime, le pape d’une école, celle du polar britannique sorti des tasses de thé pour soudainement explorer les poubelles. Témoins « Les Chiens de Belfast » de l’Irlandais Sam Millar, lequel, prisonnier politique en Irlande et de droit commun en Amérique, semble avoir mené une existence aussi animée et chaotique que celle de Robin Cook. Ce bourlingueur puise incontestablement son inspiration dans l’écriture de son confrère anglais. Le nouveau roman de Sam Millar le confirme. L’Irlande et ses problèmes insulaires et religieux certes sont sous-jacents dans le livre, mais ce sont surtout les tourments de l’âme humaine qui intéressent son auteur aujourd’hui quinquagénaire. Excellemment traduit par Patrick Raynal, qui devint patron de la Série Noire, quand Robin Cook la quitta pour les beaux yeux de la collection rivale Rivages noir, ce polar irlandais semble trop « beau » pour être « vrai ». On dirait presque une sorte de décalque d’un roman cookien des années quatre-vingt.
Sam Millar y décortique l’histoire d’une vengeance, que, bon gré mal gré, son personnage principal, un détective privé nommé Karl Kane (pourquoi pense-t-on à Orson Welles ?), doit sinon résoudre, du moins comprendre et démêler, ce qui n’est pas évident dans un monde aussi cadenassé, violent et hostile que celui de l’Irlande et de ses chiens. Dans cette sombre histoire, plusieurs hommes sont attirés dans les bars de Belfast par une mystérieuse sirène et sont retrouvés sauvagement assassinés, mutilés, trois étant en plus des officiers de police. Quel est le lien entre ces morts affreuses, quel drame les a provoquées ? Pour dévoiler la vérité, Sam Millar utilise la technique du kaléidoscope. Cela commence par dérouter, mais fascine rapidement le lecteur et finit par devenir éclairant et même limpide, en tout cas efficace et prenant.
Il y en avait sous le béret de Robin Cook, il y en a sous la casquette de Sam Millar. L’un et l’autre font partie d’une semblable famille. Peu recommandable, mais qu’on peut recommander. l

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 Les internautes l'ont lu

Ça cogne, ça fait mal mais tant de bien.

Ne me demandez pas pourquoi mais j’ai un faible pour les auteurs de polars/romans noirs irlandais. Et Sam Millar n’échappe pas à cet élan de tendresse. Avec son stupéfiant et bouleversant On the Brinks paru en 2012 chez Seuil, il nous livrait une autobiographie absolument hallucinante. Quand on a lu ce livre, on ne peut l’oublier. Ouvrage très logiquement récompensé par le prix du Balai d’Or 2013. Auparavant, Il avait publié en 2010 chez Fayard Noir le sensationnel Redemption Factory, http://jackisbackagain.over-blog.com/article-redemption-factory-sam-millar-111244181.html, sorti chez Points sous le titre Rouge abattoir. En 2013, les éditions Points publient Poussière tu seras, qui ne m’a pas convaincu outre mesure. Avec Les chiens de Belfast disponible chez Points, il inaugure un cycle mettant en scène le privé Karl Kane. Le deuxième opus de la série est paru chez Seuil sous le titre Le cannibale de Crumlin Road. Les chiens de Belfast m’ont enthousiasmé. L’intrigue est résolument noire, très noire. 1978, Belfast, une femme est violée puis tuée par des inconnus, son cadavre laissé en pâture aux chiens errant. Nul n’a payé pour ce crime. Mais vingt ans plus tard, une mystérieuse blonde, après avoir fait joujou avec, sème les cadavres un peu partout en ville. Un homme répondant au nom de Bill Munday vient solliciter le détective privé, Karl Kane. Ce n’est pas d’une franche originalité, me direz-vous. Certes, sauf que le viol, à défaut d’être original, reste le crime le plus abject et lâche qui soit et que la vengeance est l’un des mobiles les plus puissants. Et puis, vous verrez, Karl Kane, en charge d’une enquête (à la demande d’un client mystérieux, presque inquiétant), c’est un peu comme conduire votre voiture à l’entretien annuel chez un démolisseur. « Mince comme un fil mais d’une taille respectable », Karl Kane est comme tous les privés, fauché. Factures impayées, poursuivi pour non-paiement de pension alimentaire à son ex-femme Lynne, Karl s’octroie le luxe d’employer une secrétaire, la charmante Naomi, main de fer dans un gant de velours. D’accord, elle est bien plus que sa secrétaire…Pour aggraver son cas, Karl Kane écrit des manuscrits que toutes les maisons du Royaume-Uni s’empressent de refuser. Sur son bureau, trois photos encadrées de sa fille Katie et une plaque gravée sur son bureau : « Vous n’avez cessé d’essayer ? Vous n’avez cessé d’échouer ? Aucune importance. Essayez encore, échouez encore, échouez mieux » (Samuel Beckett). Lynne, l’ex-femme de Karl, est la sœur de l’inspecteur de police Mark Wilson. Ce dernier est entouré de Peter Cairns, le plus jeune de l’équipe, d’Edward Philips, un vieux bourrin proche de la retraite et son bras droit s’appelle Duncan « Bulldog » McKenzie. Entre ces quatre-là et Karl Kane, les relations sont tendues. Et quand Mark Wilson demande à Kane de venir identifier le cadavre de Chris Brown à la morgue, Kane va ressentir un sentiment de haine pure à l’égard de son ex-beau-frère et de ses hommes. Qui pouvait haïr à ce point Chris Brown, paraplégique ? Il n’était pas son ami, c’était un tueur mais qui pouvait l’avoir flingué à ce point ? Cette exécution va mettre Kane dans une rage folle, il va tout faire et encore plus pour découvrir et confondre les meurtriers de Chris Brown. Mais bien entendu et c’est un aphorisme, les choses ne se passent jamais comme on le pense. Avec Les chiens de Belfast, Sam Millar nous livre un polar glacial. Il y dénonce la cruauté imbécile de la race humaine, cette brutalité aveugle et démesurée qui transforme l’homme en un prédateur impitoyable. Au contraire des animaux, l’homme tue par méchanceté, par jalousie, par impuissance,…Mais Sam Millar refuse de sombrer dans l’inhumanité. Avec Karl Kane, il crée un privé attachant, sensible, tantôt franchement cynique, tantôt doucement ironique et tellement vivant et humain que chacun s’en construira sa propre image visuelle. Doté d’une bonne dose d’humour…irlandais, il n’est ni courageux ni téméraire, encore moins sûr de lui. Mais précisément, ce sont ses failles, ses faiblesses, sa détermination qui vont lui donner l’énergie d’aller jusqu’au bout de l’horreur et de lui-même. Il forme avec Naomi, sa secrétaire et compagne un couple atypique et réjouissant. Il y a, je pense, beaucoup de l’auteur dans ce polar comme dans tous ses romans d’ailleurs. Si vous voulez mieux cerner et comprendre la prose de Sam Millar, je ne peux que vous recommander son roman autobiographique On the Brinks. On ne sort pas indemne des geôles de Long Kesh et il est tout à fait admirable que Sam Millar ait trouvé par le biais de l’écriture un moyen de fustiger tout ce qui lui paraît détestable et haïssable chez nos contemporains. Je termine par une citation que l’on retrouve en exergue du chapitre 9 : « Évitons d’imaginer le mal, quand nous savons qu’il y a tant de raisons de le rencontrer vraiment. » Oliver Goldsmith – L’homme au bon naturel.

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