Les fils de la poussière
Arnaldur Indridason

traduit de l'islandais par Eric Boury
metailie
bb nordique
octobre 2018
288 p.  7,80 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le premier roman d’Indridason

Un nouvel Indridason ? Un inédit, nuance. « Les fils de la poussière » est la toute première enquête de l’inspecteur Erlendur Sveinsson que le romancier islandais ait écrite, enfin traduite en français, vingt ans plus tard. L’intérêt ? Pour ses fidèles, nombreux en France, c’est une pièce de collection, un élément manquant du puzzle. Ils ont fait la connaissance du héros, déjà bien cabossé, dans « La Cité des Jarres ». L’ont vu s’enfoncer dans l’aigreur et la misanthropie au fil de huit autres enquêtes. Ont découvert ses tâtonnements de jeunesse via trois retours en arrière (« Le Duel », « Les nuits de Reykjavik », « Le lagon noir »). Avec ce volet sorti de l’oubli, qui comble un vide dans une chronologie non linéaire, on est à tout point de vue dans l’entre-deux, au mitan d’une lente déprime.

A ce moment de son parcours, l’inspecteur, déjà quinquagénaire, grogne souvent mais s’évertue encore à s’exprimer par la parole. Il tente des conciliations avec son jeune équipier Sigurdur Oli, son exact contraire, lisse et superficiel, qui pourtant l’insupporte. Il n’a pas non plus renoncé à se rapprocher de sa fille et son fils, enfants du divorce partis à la dérive. Sur ce plan, le roman exhale quelques notes de légèreté, sinon d’optimisme. Cela ne durera pas, on le sait. Pour le reste, dès ce volet fondateur, la joie de vivre reste sur ces terres un produit d’importation. Une denrée rare.

L’auteur s’y montre déchiré entre deux visions de l’Islande, deux époques, qui lui semblent porter le même lot de malheurs et d’injustices. Celle d’avant, entre-deux-guerres ou après-guerre, années de dénuement et de privations où l’on ne désirait que mieux vivre, où l’avenir était moteur. Et celle de la modernité, de l’urbanisation, porteuse de confort et d’aisance, mais aussi de superficialité, d’oubli des valeurs. Entre une nostalgie sans illusions et une fierté désabusée, ce déchirement brûlera de livre en livre, véritable combustible de la saga Erlendur.

Il s’illustre ici dans une poignante histoire d’enfance volée, d’existence gommée, où deux drames vont se rejoindre. D’un côté, un suicide dans un hôpital psychiatrique et le frère de la victime qui tente de comprendre. De l’autre, un vieux professeur cruellement immolé par le feu et l’inspecteur qui fouille son passé. Les deux morts se connaissaient, le mystère n’en est que plus sombre. La quête du frère et celle du policier vont mettre au jour un univers caché de violence et de maltraitance, où la pauvreté condamne à tous les maux.

Verdict : l’Arnaldur Indridason de 1997 peut mieux faire. Bientôt, il apprendra à mieux suggérer les atmosphères et doser les humeurs, il saura aussi comment boucler une histoire dans les clous du réalisme, au contraire du final délirant de ce premier roman. Mais cet Indridason débutant a déjà l’essentiel, cet art du récit imagé et ce sens du casting, très cinématographiques, qui feront son succès. Ses plus anciens lecteurs s’amuseront de cette esquisse littéraire où ils trouveront des repères familiers. Quant à ceux qui le connaissent moins et aimeraient monter en marche, ils pourront toujours suivre la chronologie d’Erlendur, histoire de le regarder vieillir, et garder ce roman pour un peu plus tard …

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