Les Liens du mariage
J. Courtney Sullivan

Traduit de l'américain par Anne Laure Paulmont et Frédéric Collay
Le Livre de Poche
mai 2014
624 p.  8,30 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Un diamant est-il vraiment éternel ?

Une nuit de 1947, la publicitaire Mary Frances Gerety se met au lit, en ayant au préalable griffonné trois mots sur un bout de papier. Les trois mots d’un slogan de la nouvelle campagne publicitaire du célèbre joailler de luxe De Beers. Son but ? Créer un besoin, une situation où chaque personne engagée dans le mariage, se sente obligé d’acquérir une bague de fiançailles en diamant.  Accepté dès le lendemain par sa rédaction, ce slogan fera le tour du monde. En 1999, le magazine « Advertising Age » le nomme même « meilleur slogan publicitaire du vingtième siècle », prouvant que ces trois mots : « Un diamant est éternel » (« Diamond is forever »), ont scellé le destin de milliers de femmes américaines. Les hommes se sont mis à offrir une bague en diamant, symbole de l’amour éternel, puisque « tout ce qu’une femme désire, c’est un diamant ».

Tout est donc parti d’un slogan, et c’est de cette anecdote que s’est inspirée J. Courtney Sullivan. Des années 1950 à aujourd’hui, l’auteure américaine à succès (« Maine« , « Les Débutantes« ) explore les liens du mariage dans toute leur complexité. Cinq époques différentes, cinq narrateurs, quatre couples. De 1947 à 2013, on suit donc Frances, jeune femme indépendante et énergique, célibataire ; Evelyn, mariée à Gérald et mère d’un enfant qui divorce, Teddy ; James (le seul narrateur masculin du roman), ambulancier, mari de Sheila ; Delphine, épouse d’Henri, qui tient avec lui une boutique parisienne d’instruments de musique, et enfin Kate, en couple avec Dan,  tous deux refusant le mariage. Rien ne relie a priori ces personnages. Ils ne vivent pas à la même époque, leurs visions du mariage et même du couple sont complètement différentes. Mais un objet, un seul et unique, les lie : la bague de fiançailles. Et c’est bien cela que J. Courtney Sullivan cherche à retranscrire : ce sujet crucial de la demande (« proposal »), dans une société tolérante, mais où ne pas se marier n’est pas encore entré dans les mœurs. « Aux Etats-Unis, tout le monde se fiance. On met beaucoup d’argent dans la bague, même si c’est pour avoir un minuscule diamant », nous dit l’auteure.

Du journalisme, J. Courtney Sullivan en a gardé le goût pour l’observation, la documentation, le témoignage. Pour le personnage de Delphine, elle a arpenté les rues de Paris et interviewé des dizaines de femmes qui avaient, comme son héroïne, fait le choix de quitter la capitale pour New-York. Dans la veine de ses précédents romans, elle continue d’écrire sur les drames du quotidien. Ici, elle mêle marketing, glamour et passion, mais ne donne pas sa propre vision du mariage ; elle se contente de nous raconter des vies, cinq nouvelles entrelacées dans un récit choral, et nous montre que chaque union est toujours une histoire unique.

 Ce titre fait partie de notre sélection « Voyage autour…de mon fauteuil » du 6 mai 2014

 

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Unis par les liens du mariage

Après avoir observé et analysé les rouages de l’amitié dans Les débutantes, disséqué les relations familiales entre trois générations de femmes dans Maine, J.Courtney Sullivan se penche cette fois sur le mariage et ses ramifications : symbole, engagement, attachement, le « grand jour », le quotidien, le côté sacré, conventionnel, artificiel, son rejet aussi, ses promesses, ses déconvenus… et utilise, judicieusement, comme ligne directrice, l’emblème du lien amoureux éternel, la bague de fiançaille réhaussée d’un diamant.
Il est question de l’illustre pierre précieuse dès les premières lignes du roman. Nous sommes en 1947 aux Etats-Unis, Frances Gerety, une pionnière dans la publicité, doit trouver un slogan pour le compte de son client De Beers, un célèbre joailler, qui souhaite faire naître chez la future mariée le besoin psychologique, la nécessité de posséder un diamant… et c’est au milieu d’une courte nuit que Frances griffonne sur un morceau de papier, les yeux embués de sommeil les quelques mots qui résonnent encore aujourd’hui : Diamond is forever (Le diamant est éternel).
L’auteure explore cette institution qu’est le mariage à travers les époques (de 1947 à 2013), dans lesquelles se débattent des personnages de niveaux sociaux, de cultures et d’origines différentes. On suit le parcours de vie de Frances (qui a réellement existé), une femme carriériste, assumant son ambition personnelle et son célibat. On découvre Evelyne dans les années soixante-dix, un train de vie confortable, un mari aimant, mais un fils unique qui la choque beaucoup lorsqu’il lui annonce son divorce, chose alors scandaleuse. James, quant à lui, a bien du mal à joindre les deux bouts pour faire vivre sa petite famille, la fin des années quatre-vingt est difficile pour tout le monde. Ambulancier, déprimé par le malheur qu’il côtoie quotidiennement dans son travail. Il a peur de sombrer. Delphine, elle, est française. Nous sommes en 2003. Mariée avec Henri depuis quelques années, elle tombe éperduement amoureuse d’un jeune homme américain, violoniste. Elle quitte tout pour lui et débarque aux Etats-Unis. Déracinée, troublée, elle ne parvient pas à oublier Henri qui l’attend de l’autre côté du pacifique. Nous rencontrons enfin Kate, une jeune mère de famille d’aujourd’hui qui n’a pas hésité à laisser son travail pour s’occuper de sa fille. Elle qui a toujours fuit les mariages n’a pas pu se défiler cette fois-ci. Son cousin gay (un des mariés) lui a confié la responsabilité des alliances.
Avec un réalisme parfois déconcertant (roman très documenté, très détaillé), l’auteure tisse l’évolution du mariage des années quarante à nos jours. Une exploration « sociologique » intéressante. Le portrait qu’elle fait des hommes et des femmes est juste, il n’y a pas d’excès. Elle les dépeint avec naturel et simplicité dans leur environnement et dans leur époque. À aucun moment, elle ne les juge. En revanche, contrairement à ses deux précédents romans, on a ici plusieurs histoires indépendantes qui s’alternent. Le fait que ces vies ne se croisent pas (ou si peu) est dommage. Malgré cela, ce roman reste plaisant. J. Courtney Sullivan est une auteure à suivre.
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