Les vies multiples d'Amory Clay
William Boyd

Traduit par Isabelle Perrin
Points
octobre 2015
552 p.  8,50 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Entre réalité et fiction

Un nouveau roman de William Boyd, c’est toujours la promesse d’un bonheur de lecture. Mais il n’est jamais meilleur que lorsqu’il écrit la biographie d’un personnage de manière si précise qu’il y a un moment où l’on a envie de vérifier si tout cela n’est vraiment que fiction. Après « Les Nouvelles confessions » écrit en 1988, puis « Nate Tate un artiste américain » en 2000 et « A livre ouvert » en 2002, le voici de retour avec ce même format où il jongle entre réalité et fiction. Il mélange cette fois autobiographie, journal intime et photos, puisque sa nouvelle héroïne, Amory Clay, va traverser le siècle appareil au poing. Elle débutera en immortalisant des « people » de la bonne société anglaise, puis très vite, parcourra le monde, de Berlin au Vietnam, en passant par la France et les Etats-Unis.
Lire notre interview de William Boyd ici.

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coup de coeur

Les vies multiples d’Amory Clay

Après avoir endossé les habits de James Bond, voici William Boyd ceux d’une femme photographe, Amory Clay. Si ce nom ne vous dit rien, c’est que le personnage est né de l’imagination du romancier, sorte de concentré de toutes ces femmes qui ont sillonné la planète avec leurs appareils et que l’auteur remercie à la fin de son récit. Pourtant on y croit de bout en bout, notamment parce que de nombreuses photos d’Amory Clay viennent témoigner des différents épisodes de sa vie. Cette dernière débute le 7 mars 1908 avec la naissance d’un garçon, du moins si l’on en croit les colonnes du Times. L’acte manqué du père – qui voulait un garçon plutôt qu’une fille – ne sera sans doute pas étranger au caractère intrépide d’Amory. Elle aura du reste besoin de tout son courage pour échapper à la mort quand son père, revenu très perturbé de la Grande Guerre, décide de foncer dans un lac au volant de sa voiture pour en finir. Amory parviendra non seulement à s’en tirer, mais sauvera aussi son père qui sera interné en asile psychiatrique.
Au moment de choisir son destin, la rescapée cherche un moyen d’échapper au pensionnat de jeunes filles et voit dans le Kodak Brownie no 2 qu’on lui offre le moyen de s’émanciper : elle sera photographe.
Ses premières expériences en tant qu’assistante de son oncle Greville qui photographie les personnalités lors de bals et réceptions, ont quelque chose de fascinant : « Je crois que tout le processus photographique me paraissait encore magique, à cette époque de ma vie : capturer une image sur la pellicule grâce à une brève exposition à la lumière, puis, par le truchement scientifique des produits chimiques et du papier, révéler une représentation monochrome de cet instant participait encore d’une alchimie ensorcelante. »
C’est cependant dans le Berlin des Années folles qu’elle va pouvoir expérimenter le « vrai » reportage. A l’aide d’un appareil camouflé dans un sac, elle photographie les cabarets et maisons de passe. L’exposition qui doit la faire connaître provoque un scandale. Elle doit détruire les clichés et payer une amende pour obscénité. Mais comme souvent cette publicité va lui permettre de rencontrer un Américain qui l’engage pour des photos de mode.
Elle s’ennuie toutefois à New York, même si elle passe d’un amant à l’autre, de son patron à un diplomate Français et décide de rentrer en Grande-Bretagne… où elle se fera tabasser par un groupe de Chemises Noires.
Femme volontaire face à la montée des périls, elle va tenter d’oublier son long séjour à l’hôpital en regagnant d’abord les Etats-Unis puis en étant envoyée spéciale en France et en Allemagne pour suivre la progression des alliés. Elle se rendra alors compte que la libération n’est pas seulement une fête. Sholto Farr qu’elle rencontre à ce moment et qu’elle épouse quelques jours après pourrait en témoigner, s’il ne noyait sa douloureuse expérience dans l’alcool.
Amory, devenue une Lady, met au monde des jumelles et passe quelques temps à materner, sans se rendre vraiment compte des drames qui couvent : «En devenant épouse et mère, j’avais perdu une partie de mon être, avec une grande maison à gérer. Amory Clay avait disparu, elle s’était évaporée. »
L’histoire aurait pu s’arrêter là, avec une nouvelle version de « grandeur et décadence». Ce serait faire peu de cas de la soif d’Amory qui décide de reprendre du service. En devenant une « vieille correspondante de guerre » au Vietnam, elle remplira à la fois une mission périlleuse, réalisera de superbes photos qui donneront un livre à succès et manquera d’y laisser la vie. Sans oublier les faux soldats australiens qu’elle n’aurait jamais dû voir et qui lui vaudront un retour précipité.
A Londres elle va constater que l’une de ses filles s’est envolée.
La voilà du coup repartie pour le désert californien. Elle y retrouvera son enfant au sein d’une communauté d’illuminés. Elle ne parviendra toutefois pas à la ramener avec elle.
Son journal de Barrandale, où elle a trouvé refuge, vient Donner tout au long du livre un éclairage plus vif sur certains épisodes, jusqu’aux ultimes moments dont on ne dira rien ici. Sauf que William Boyd démontre une fois de plus qu’il est un maître dans l’art de raconter les histoires et d’embobiner le lecteur. Qui en redemande !

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coup de coeur

Magnifique portrait d’une femme libre. Un grand Boyd.

« Les désirs du cœur sont aussi tordus qu’un tire-bouchon, disait le poète : ne pas naître est le meilleur destin pour l’homme, car c’est la seule manière d’éviter toutes les complications de la vie ». Cette phrase pourrait illustrer à elle seule l’ambition de ce roman qui célèbre la vie dans ce qu’elle a de plus aléatoire, de plus inattendu, parfois de plus cruel et donc de plus surprenant. Si j’achète les livres de William Boyd les yeux fermés, celui-ci m’a fait garder les yeux grands ouverts, heureuse de retrouver la veine de A livre ouvert qui reste à ce jour mon préféré de l’auteur.

La réussite de William Boyd tient beaucoup à sa façon de donner vie à des personnages d’autant plus crédibles qu’ils évoluent dans un environnement parfaitement reconstitué. Sans en faire des tonnes, sans avoir besoin de passer par de longues pages de descriptions, l’auteur parsème son ouvrage de mille et un détails qui rendent ses atmosphères palpables et situent immédiatement l’action dans le temps. Ici, le vingtième siècle défile sous nos yeux ou plutôt sous l’œil aguerri de la photographe Amory Clay avec ses guerres, ses avancées sociales, ses modes, ses contraintes et ses opportunités. Le personnage d’Amory, s’il est inventé de toutes pièces emprunte néanmoins à des femmes photographes qui ont bel et bien existé, marqué le siècle de leurs empreintes, ouvert la voie à leurs consœurs. Une mention émouvante en fin d’ouvrage le rappelle et leur rend un discret hommage.

Amory Clay n’a rien d’une super héroïne. Issue d’une modeste famille de la bourgeoisie anglaise, elle n’est pas exempte de problèmes. Son père, traumatisé lors de la Grande Guerre en garde de graves séquelles psychologiques, son jeune frère semble retardé et sa mère l’encourage vivement à trouver un bon parti afin de se mettre à l’abri du besoin. C’est compter sans le virus de la photographie attrapé dès l’âge de sept ans auprès de son oncle alors photographe mondain qui lui offre son premier appareil. En 1928, il est assez rare d’entendre une jeune femme déclarer qu’elle veut devenir photographe professionnelle mais rien ne détourne Amory de son objectif. Une carrière qu’elle bâtira ensuite grâce à des rencontres, à son instinct qui la pousse à saisir les opportunités et à sa pugnacité. Berlin, New York, l’Amérique du sud seront ses premiers terrains de jeux avant le retour à Londres et l’engagement comme reporter de guerre sur le terrain de l’offensive alliée après le débarquement de 1944 où elle rencontrera celui qui deviendra son mari. Plus tard, dans une autre vie, après une parenthèse écossaise, il y aura le Vietnam, encore un conflit, comme si sa vie était marquée par les guerres.

Pourtant, ce qui intéresse William Boyd, plus que le témoin des événements du siècle, c’est la femme avec ses doutes, ses approximations, ses emballements. La femme qui se laisse guider par son instinct, celle qui écoute son cœur. Celle qui fait des erreurs, se retrouve dans des situations désespérées. L’amoureuse, l’aventurière, la passionnée. Au fil de ses mémoires et du journal qu’elle tient en 1977, la femme qui se révèle est bourrée d’imperfections, de contradictions. Elle est loin de tout maîtriser, elle se raccroche souvent aux branches. Mais elle vit. Elle avance, tient bon, accepte de perdre autant que de gagner. Sa vie n’est pas parfaite, mais c’est la sienne, exactement comme elle l’a décidée.

Avec Amory Clay, William Boyd nous offre le magnifique portrait d’une femme libre, bien décidée à garder la main sur l’essentiel : son droit de décider ce qui est bien pour elle. Et ceci jusqu’à la fin, l’ultime décision. Une belle figure, de celles qui vous accompagnent longtemps et vous incitent à prendre votre destin en mains et à toujours célébrer l’instant présent.

Ma foi, le Boyd 2015 est un excellent cru !

Retrouvez Nicole G sur son blog 

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