L'Oubli
Emma HEALEY

traduit de l'anglais par Corinne Daniellot
Pocket
mai 2014
403 p.  7,60 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Quel suspense!

Une idée peu exploitée en fiction, une héroïne à faire fondre le coeur le plus glacé, des sourires qui se mêlent aux larmes, une tension tenue de bout en bout… Premier roman d’Emma Healey, une Londonienne de 28 ans, « L’oubli » est un doux OVNI littéraire. Un de ces livres qui donne irrésistiblement envie d’être partagé. Un texte dont neuf éditeurs britanniques se sont disputé l’exclusivité après le salon du livre de Londres 2013, chacun s’échinant à démontrer à l’auteur qu’il la comprenait mieux que les autres…

L’objet de leur empressement est un superbe suspense psychologique, qui s’affranchit très librement des limites du genre. Maud Horsham, 82 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer, est convaincue que sa meilleure amie et voisine, Elizabeth, a disparu. Mais personne ne semble y prêter attention. Elle est aussi hantée par une autre disparition, plus lointaine, celle de sa grande soeur Susan, partie alors qu’elle-même avait 16 ans. Un souvenir resté, celui-là, net, précis, tranchant, source d’une frustration douloureuse comme une blessure à vif.

Tenant le lecteur en haleine avec ces deux disparitions, Emma Healey le fait complice de sa narratrice. Maud jeune et alerte, Maud âgée et diminuée… la romancière se coule avec un même naturel dans la peau de l’adolescente traversant la guerre et dans celle de la grand-mère privée de sa mémoire immédiate. Elle joue habilement de ces deux voix, qu’elle fait se répondre à plus d’un demi-siècle de distance. La seconde s’acharnant à remettre du sens et de l’ordre dans les scènes vécues par la première.

Perçus comme incohérents, les propos, les gestes et les actes de l’octogénaire apparaissent bientôt comme seulement désordonnés, mus par une logique déprogrammée, guidés par un fil invisible aux yeux des autres personnages… Si touchante dans sa quête obstinée, Maud pousse sa fille de la bienveillance à l’exaspération, suscite une tendresse amusée chez sa petite-fille et une sympathie patiente chez les policiers et les médecins. Vieillesse et maladie, ce roman noir plein d’humanité renvoie finalement à des peurs fondamentales. En posant davantage de questions existentelles qu’il ne soulève d’énigmes. 

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