M Train
Patti Smith

traduit de l'anglais par Nicolas Richard
Folio
avril 2016
304 p.  8 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La ballade de Patti Smith

Après son formidable « Just kids », souvenirs de jeunesse et hommage au photographe Robert Mapplethorpe, l’icône du rock Patti Smith revient avec un récit automnal, une ballade intimiste à la fois mélancolique et chatoyante. Vous ne connaissez pas sa musique ? Aucune importance, Patti Smith est aussi poète, peintre, photographe. Une artiste, une vraie.

Tous les matins, après avoir nourri ses chats, Patti attrape son vieux manteau noir et prend le chemin du Café’Ino, à Greenwich Village, où elle s’assied toujours à la même table, devant une grande tasse de café noir accompagnée d’un toast de pain complet et d’huile d’olive. Un jour de novembre, elle apprend, déconcertée, que le patron ferme pour s’installer sur la promenade de Rockaway Beach… Elle-même a longtemps rêvé de posséder son propre café, mais sa vie a pris d’autres chemins, au gré des envies, de l’art et de l’amour pour son mari, le musicien Fred « Sonic » Smith. Elle se remémore leur vie à Detroit, une maison avec un bateau échoué dans le jardin, où elle s’est consacrée à sa famille. Aujourd’hui, il n’y a pas de bateau dans son jardin, seuls ses objets fétiches et ses souvenirs l’ont suivie à New York où elle est revenue s’installer après la mort de Fred, en 1994. A presque soixante-dix ans, Patti Smith nous parle du temps qui passe, de la disparition, et de ses auteurs familiers heureusement indéfectibles : Genet, Rimbaud, Sylvia Plath, Dazai ou Mishima. Lorsqu’elle voyage, elle ne manque jamais de se rendre sur leurs tombes pour désherber, se recueillir et fourrer quelques cailloux dans sa poche.

On découvre une femme iconoclaste, accro aux séries policières, chercheuse du meilleur café de Veracruz, membre du « Club de la dérive des continents » en hommage à un explorateur du Groenland. Patti Smith est géniale parce qu’elle est libre ; sans pose ni afféterie, elle passe seule ses anniversaires, dispute une partie d’échecs nocturne avec un champion à Reykjavik, noircit des serviettes en papier, s’assied sur son perron pour réfléchir. Ces derniers temps, elle perd des choses précieuses : son manteau noir, son polaroid, son carnet Moleskine, un roman. Mais la mélancolie n’entrave pas ses désirs, spécialement cette recherche d’une chambre à soi, où qu’elle se trouve : dans un hôtel à Tokyo, dans la maison de Frida Kahlo à Mexico, ou sur la promenade de Rockaway Beach (tiens !) ce vieux bungalow croulant qu’elle acquiert en 2012, son « Alamo ». Portée par un carpe diem inusable, Patti Smith n’est pas du genre à regarder passer les trains, elle les prend, monte même en marche, et nous embarque avec elle.

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coup de coeur

Nostalgie

Lorsque j’ai tourné la dernière page, j’ai crié : « Oh ! C’est fini ! » Je m’étais habituée à cette rencontre quotidienne avec une personnalité hors du commun et si attachante : Patti Smith.
En fait, je ne connaissais rien d’elle sinon quelques chansons que j’écoutais autrefois, il y a bien longtemps…
Tout d’abord, ce qui m’a fascinée dans ce livre, c’est la photo de couverture : elle est assise dans un café, une tasse blanche devant elle. Elle porte un bonnet de laine, une veste d’homme et un jean. Elle tient son visage dans sa main droite et regarde sur le côté. Présente et absente. Sa main gauche est posée sur la table. Je crois que je n’ai jamais autant regardé une couverture de livre. Patti Smith raconte en quelles circonstances cette photo a été prise : tous les matins, elle se rend au café Ino, situé sur Bedford Street, dans Greenwich Village, commande du café noir, un toast de pain complet et un ramequin d’huile d’olive.
Or, ce jour-là, elle apprend que l’établissement ferme. C’est un choc pour elle. On lui sert tout de même un dernier café lorsqu’une jeune fille qu’elle connaît passe. Elle lui demande d’immortaliser ce moment difficile, « l’image de l’affliction » dira-t-elle. C’est vrai, elle a l’air profondément triste. Je crois que c’est cette grande mélancolie que j’ai ressentie et qui m’a touchée.
« Ce n’est pas si facile d’écrire sur rien. » dit le cow-boy de son rêve, « Il est bien plus facile de ne parler de rien », ajoute-t-elle…
Écrire sur rien, parler de rien … en réalité, Patti Smith nous emmène avec elle, dans son train, à son rythme, sans horaires, ici et là. Elle nous embarque et on la suit dans son « vagabondage », un peu partout sur la planète et dans ses rêves aussi, aujourd’hui et hier, autrefois et demain.
Vie quotidienne peuplée de chats, de cafés et de livres, rencontres d’auteurs, voyages dans les rues de New-York et ailleurs, au Japon, au Maroc, à Londres, méditations sur le passé, sur ceux qui l’ont quittée et qu’elle a aimés, sur le temps, tout se mêle, se lie, se correspond et s’enchaîne, à l’image de la vie, décousue, fragmentée, surprenante, insensée parfois. Les horloges ont perdu leurs aiguilles et le monde sa boussole…
Elle aime le café et les cafés, aurait aimé ouvrir un petit établissement mais son ange, l’amour de sa vie, le musicien Fred « SONIC » Smith, l’a appelée à Détroit : elle est partie.
Ils sont allés à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane française pour voir les vestiges de la colonie pénitentiaire où l’on envoyait les pires criminels. Genet évoquait ce lieu pour lui sacré dans Journal du voleur mais ne l’aura jamais vu. Elle ramassera quelques cailloux et les portera sur la tombe de l’écrivain, au cimetière chrétien de Larache, au Maroc. De même, à Charleville, Rimbaud aura droit à des perles de verre bleu de Harar…
Les auteurs sont sacrés, elle leur fait des offrandes, nettoie leur tombe, vit avec leurs livres dispersés çà et là, dans sa maison, un sac, une chambre d’hôtel. Elle les aime, toujours et encore, leur parle, écoute leur voix même s’ils ne sont plus. Plus présents parfois que les vivants, ils partagent le quotidien de la chanteuse, Bolaño, Rimbaud, Michima, Kurosawa, Dazai, Akutagawa, Plath, Kahlo… Elle aime aussi Sarah Linden, l’enquêtrice de The Killing et n’imagine pas un seul instant ne plus la revoir quand la série sera finie.
Ses êtres chers, ses frères …
Elle a aussi d’autres compagnons de route : ce sont les choses, les objets : sa cafetière, un dessus de lit, son lacet. Elle leur parle, ils lui répondent. Parfois, elle les perd et elle a remarqué d’ailleurs que plus elle les aime, plus elle les perd : son vieux manteau noir, son livre de Murakami Chroniques de l’oiseau à ressort, son vieil appareil photo… C’est comme les gens finalement, ceux qu’elle a aimés ont disparu, elle les a perdus eux aussi… Elle reste là, seule ou presque.
Et puis, comment ne pas parler de ses photos : la chaise de Roberto Bolaño, la table de Schiller à Iéna, le lit et les béquilles de Frida Kahlo, la canne de Virginia Woolf, la machine à écrire de Hermann Hesse, les tombes, les cafés … Quel que soit le sujet, l’image en noir et blanc, floue parfois, fascine, me fascine. Je la regarde plusieurs fois comme pour en percer le mystère. Il s’en dégage une force que j’ai rarement vue ailleurs…
Patti Smith parle d’elle, des autres, de la vie, des œuvres qui lui sont chères, des auteurs qu’elle porte en elle, des siens, de son ange, de son bungalow de Rockaway Beach, du quotidien. Je ne la connaissais pas, il me semble avoir fait une belle rencontre, une de celles que l’on n’oublie pas, une femme dont l’univers poétique est riche et profondément mélancolique, quelqu’un avec qui j’aurais aimé partager un coin de table, là-bas ou ailleurs. Pas forcément pour parler. Pour être là, sentir ce que le soir a à nous dire et écouter le temps qui passe…

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