Ne fais confiance à personne
Paul Cleave

traduit de l'anglais par Fabrice Poineau
Le Livre de Poche
août 2017
512 p.  8,20 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Un Paul Cleave virtuose

Dans le paysage international du polar, le Néo-zélandais Paul Cleave donne à entendre un ton unique. Un mélange de distance, d’humour noir, de dérision qui tient à la nature même des histoires qu’il crée. Ce quadra tranquille, dont le talent s’épanouit à Christchurch mais qui adore sillonner l’Europe, a le don de se glisser dans la peau de types qui se croient sains d’esprit et se révèlent dangereusement tordus. Au fil de leur monologue intérieur, on en vient vite à douter, à suspecter des horreurs. C’est le mécanisme de ses cinq premiers romans, depuis «Un employé modèle» (2010) jusqu’à «Un prisonnier modèle» (2016). C’est encore celui de son nouvel opus, «Ne fais confiance à personne», avec davantage encore de niveaux de lecture et de fausses pistes.

D’entrée, on découvre un certain Jerry confessant un meurtre à une jeune policière qu’il trouve très sympathique. Sinon qu’il décrit un crime imaginaire, sorti d’un des polars qu’il a publiés, et que l’inspectrice est sa fille. Jerry est romancier et atteint de la maladie d’Alzheimer. Son entourage est d’autant plus inquiet qu’il s’enfuit régulièrement de l’établissement où il est placé et que des morts inexpliquées coïncident avec ses fugues.

Dans une construction virtuose jusqu’à donner le tournis, mais qu’il maîtrise parfaitement, Paul Cleave juxtapose les deux temps de sa narration. Un présent immédiat où l’histoire de Jerry semble s’écrire à mesure qu’on la lui remémore, pour s’effacer aussitôt. Un passé situé au moment où la maladie se déclarait, où son histoire s’écrivait sous ses yeux et où il a essayé de la consigner dans un «cahier de la folie», pour anticiper les effacements de sa mémoire. L’auteur y intercale des extraits du fameux cahier qui, loin de nous éclairer, rendent le mystère plus épais encore : on croit y voir tantôt une accusation, tantôt une confession.

Alors, victime ou salaud ? Le présent nous montre un Jerry pathétique, cherchant désespérément à enquêter sur lui-même, soucieux de s’innocenter, mais prêt aussi à assumer les indices de sa culpabilité. Le passé nous le montre sous un jour bien moins flatteur. D’un temps à l’autre, l’image de son entourage change aussi du tout au tout, brouillant un peu plus les pistes. C’est un des fondamentaux du polar : le personnage à deux visages. Le romancier néo-zélandais l’accompagne de l’ombre malfaisante de la maladie dont Jerry, affranchi des conventions, parle sans retenue ni tabou, comme un autre lui-même qu’il méprise.

Entre le Jerry malade d’aujourd’hui, le Jerry en bonne santé d’hier et le Jerry écrivain à cheval sur les deux, on finit par se demander, finalement, où est le «vrai». Et s’il est ou non un tueur. L’intrigue criminelle est étourdissante, mais Paul Cleave ne se contente pas d’en tenir fermement les rênes : il a visiblement réfléchi sur ce qu’il écrit et pourquoi il l’écrit. Doublé de ce jeu subtil sur l’inspiration, «Ne fais confiance à personne» est à coup sûr son livre le plus abouti.

 

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Alzheimer et l’humour toujours aussi noir et grinçant de Paul Cleave

Tout démarre dans ce qui ressemble à une salle d’interrogatoire. Jerry Grey auteur de romans policiers, est en face d’un policier et d’une jeune femme. Il est en train de passer aux aveux, de son premier meurtre commis trente ans plus tôt, d’une certaine Suzan.
Jerry aimerait bien se retrouver seul avec la jeune femme, mais Jerry ne se souvient pas qu’elle est sa fille, Eva. Il ne se souvient pas que Suzan est un personnage de l’un de ses romans. Il ne se souvient pas non plus qu’il est atteint d’Alzheimer.

Et si Jerry se cachait derrière cette maladie pour tous les crimes qu’il a décrit dans ses livres et commis ? Ou si c’était les autres qui profitaient de sa vulnérabilité pour lui faire porter le chapeau ?

Tout le monde lui affirme que Suzan est le fruit de son imagination mais Jerry sait qu’il y a une part de vérité. Mais comment démêler le vrai du faux quand personne ne le prend au sérieux ? Malgré ses périodes de vides et de lucidité, Jerry veut en avoir le cœur net…

Paul Cleave est définitivement un auteur à part. Avec ce nouveau roman, il met un cran au-dessus. Il nous trouble, nous embrouille. Et pas de raison que Jerry soit le seul à perdre la boule, préparez-vous à vous aussi perdre quelques neurones.
Les fans de la première heure risquent d’être quelque peu déroutés par la construction de ce one shot, par le style assez particulier de ce thriller. Thriller certes, mais psychologique, car l’auteur nous fait suivre la quête de vérité d’un malade atteint de la maladie d’Alzheimer.

Ca démarre fort puis on passe les 100 premières pages à faire connaissance avec Jerry. Le Jerry d’avant, le mari amoureux de Sandra, son épouse. Puis lorsqu’il apprend sa maladie et s’enfonce lentement dans celle-ci.
D’où la possibilité pour certains de ressentir une certaine lenteur à démarrer avec ces premières pages.

Le roman est mené tour à tour par Jerry et Henry, son alter ego littéraire. On passe du présent au passé, entre les périodes de trous noirs, de lucidité, de confusion, de vérité et de paranoïa.

On est touchés, émus dans la façon dont l’auteur décrit la maladie avec un grand réalisme. A se demander si lui-même ne s’est pas inspiré de plusieurs cas de malades. Quoi qu’il en soit, vous pouvez compter sur Paul Cleave pour désamorcer la gravité du sujet avec son humour, toujours aussi noir et grinçant.

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« Ecris ce que tu connais, et fais semblant pour le reste. »

Jerry Grey perd la boule. Plus exactement, il est sous l’emprise du Grand A, avec une progression fulgurante, très inhabituelle à son âge (à peine cinquante ans). Auteur de thrillers réputé, sous le pseudonyme d’Henry Cutter, dès les premières manifestations de sa maladie il entreprend de tenir une sorte de journal de bord, un Carnet de la Folie destiné à lui permettre de reprendre pied dans sa vie lors de ses futures périodes de lucidité. Le problème étant que très vite, il entremêle fiction et réalité et peine à discerner ce qu’il a écrit de ce qu’il a vécu. Est-il Jerry Cutter, Henry Grey, un tueur, un écrivain ? Lorsque des meurtres sont effectivement commis, ça se corse encore plus…
Le suspens est habilement entretenu et on se plaît à s’égarer entre deux impressions contraires, hélas l’épilogue est éventé un peu trop tôt et gâche l’impression finale. A lire malgré tout pour tous les fils tissés autour de la création littéraire.

« Les bibliothèques te détendent. Tu y passais beaucoup de temps après l’école. Tu dévorais les livres et voulais devenir écrivain quand tu serais grand. Ce sont ces jours-là, ces jours à la bibliothèque, qui ont fait de toi l’homme que tu es devenu.
– Un malade ?
– Un auteur, imbécile. »

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