Passage des ombres
Arnaldur Indridason

Traduit de l'islandais par Eric Boury

Points
mai 2018
308 p.  8 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Saga islandaise

Reykjavik n’est pas la capitale la plus lumineuse au monde. Qu’il ait pu y exister un quartier des Ombres, au tournant des années 1940, résume combien cette partie-là de la ville pouvait être déshéritée. De cet assemblage de taudis et de bars à soldats, refuge de laissés-pour compte et de commerces illicites, Arnaldur Indridason a fait le centre de gravité d’une saga policière concentrant tous ses thèmes fétiches.

En réunissant dans sa trilogie des Ombres un policier du cru et un soldat canadien fils d’Islandais, le romancier soumet sa terre natale à deux regards croisés auxquels rien ne peut échapper. Chacun ouvre les yeux de l’autre sur les conflits de valeurs qui déchirent l’île, poids de traditions rétrogrades contre désir d’une modernité importée, besoins de protection contre envie d’indépendance, attachement à une culture millénaire contre ouverture sur un monde en ébullition.

Dans cet épisode final, après les attachants « Dans l’ombre » et « La femme de l’Ombre », l’auteur y superpose un troisième regard, contemporain celui-là. Celui d’un policier à la retraite, rival en bougonnerie de son célèbre Erlendur. Intrigué par la mort suspecte d’un vieillard discret, l’ex-inspecteur Konrad découvre la véritable identité de la victime et met au jour une vieille affaire de meurtre que Flovent et Thorson, en leur temps, n’avaient pas résolue. Prétexte, pour lui, à une douloureuse introspection.

Le récit en flashbacks entremêle la progression des deux enquêtes à soixante ans d’écart. La froideur du policier d’aujourd’hui, sans illusion sur son pays ni ses semblables, met en relief la candeur idéaliste du duo d’enquêteurs dont il suit la trace. Sa propre quête de vérité, forte de moyens et d’une liberté qui leur ont fait défaut, se teinte de nostalgie à mesure qu’émergent des bribes de sa propre enfance dans ce maudit quartier des Ombres.

Au gré d’une construction virtuose, Arnaldur Indridason fait se répondre les deux époques jusqu’au vertige, à mesure que les faits et les témoins du passé resurgissent au présent. Comme il n’a rien d’un moraliste, les belles personnes n’ont pas toujours le dernier mot. Des vies prometteuses s’éteignent, des existences s’égarent, des rencontres n’aboutissent jamais. En dépit de son fort parfum de mélancolie, la saga de Flovent et Thorson, héros fragiles dont l’auteur n’oublie pas de révéler la part d’ombre, nous laisse totalement sous le charme.

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 Les internautes l'ont lu
nuit blanche

Troisième et dernier tome

Un grand doute m’envahit en commençant le livre. Je retrouve la scène, à Reykjavik, de la découverte du corps déjà lu dans un livre précédent. Une jeune femme est retrouvée morte derrière le théâtre. Flovent et Thorson ont enquêté à l’époque et l’affaire a été classée. Ce n’est qu’une mise en situation. Ouf !!
Revenons au dernier tome de la trilogie.
Erlendur est parti, vive Konrad et retour à notre époque. En quelques mots, Konrad est un flic à la retraite, célibataire qui s’ennuie. Marta, son ex-collègue l’appelle un soir pour lui demander d’enquêter sur la mort de Stefan Thordarson, vieux monsieur étouffé avec un oreiller. Lors de la fouille de l’appartement, la scientifique a trouvé une vieille coupure de journaux relatant l’enquête inaboutie « sur le meurtre d’une jeune file retrouvée étranglée à l’arrière du Théâtre national en 1944 ».
Je retombe sur mes deux pieds… Et sur les deux premiers chapitres.
Cette information titille Konrad du côté de la mémoire. Oui, il se souvient de cette affaire car son père s’y est trouvé impliqué par le biais d’une escroquerie au spiritisme. Il va accepter la demande de Marta et enquêter sur le meurtre du vieux monsieur.
Par chapitre interposés, je fais le grand écart entre cette période de la Seconde Guerre et maintenant. Je passe de Konrad aux deux policiers Flovent l’islandais et Thorson le canadien de parents islandais, un jeu de miroirs intéressant dans lequel je ne me suis pas perdue..
Bien sûr, vous l’avez compris, les deux affaires sont liées. Konrad va mettre toute sa pugnacité, tout son temps, fouiller le passé pour rechercher le meurtrier, tirer les quelques fils qu’il trouve, jusqu’à détricoter et retisser.
Il rencontre une femme, ancienne collègue de la jeune couturière, qui lui rapporte cette phrase, que le violeur a assené à la victime : « tu diras que c’étaient les elfes ». Les contes et légendes ont cela de bon, c’est qu’ils permettent d’expliquer l’inexplicable voire de rendre dicible l’indicible. Un jeune étudiant, Jonathan, fut, à l’époque des faits, soupçonné et interpellé parce que le mémoire qu’il préparait dans le cadre de ses études portait sur ces légendes. Sa fin tragique a été lourde à porter pour les deux inspecteurs.
Outre le fait que Flovent fut à l’origine de la Crim’ islandaise, je peaufine mes connaissances sur « la situation », le bouleversement, sans retour en arrière, suite à l’arrivée des troupes alliées d’occupation sur l’île qui a permis l’émancipation des femmes.
Ce dernier tome clôt avec brio la trilogie des ombres. Ombres, quartier mal famé et pauvre où grandit Konrad ; passage des ombres où fut trouvé le corps de la jeune couturière, ombres d’un passé où les oiselles se sont souvent faites avoir par les soldats mariés dans leur pays ; ombres sur les meurtres non élucidés, plutôt mis sous le boisseau pour cause de député influent. Comme quoi, au pays des elfes, les puissants sont les mêmes qu’ailleurs.
Arnaldur Indridason dans sa trilogie, brosse le tableau de l’Islande durant ces soixante dernières années. Satire de la vie islandaise fort bien documentée. L’Islande un pays tourné vers le futur mais toujours enchaîné à ses légendes, traditions, racines Du bel ouvrage.
Un livre que je n’ai pu lâcher et donc, une nuit très écourtée, pour mon grand plaisir.
Alors, adieu Erlendur et bonjour Konrad ?
Premier tome : Dans l’ombre
Second tome : La femme de l’ombre

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