Photo de groupe au bord du fleuve
Emmanuel Dongala

Actes Sud
babel
septembre 2012
446 p.  10 €
ebook avec DRM 9,90 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

L’Afrique s’accorde au féminin.

Toutes les révoltes ne font pas la une des journaux, mais elles sont nombreuses, partout, tous les jours, guidées par l’aspiration à un peu plus de justice. Emmanuel Dongala, écrivain d’origine congolaise, relate un de ces combats menés en Afrique par des femmes contemporaines dans son superbe roman « Photo de groupe au bord du fleuve ».

Voici l’histoire d’une quinzaine de femmes travaillant sur le même chantier d’extraction de pierre, dans un pays africain que l’on reconnaît comme celui de l’auteur, et qui décident un jour de renégocier le prix du fruit de leur labeur, du gravier qu’elles concassent à mains nues pour un salaire de misère. Elles sont résolues à faire grève et à ne pas déposer les armes avant d’avoir la certitude d’être payées au prix juste. L’héroïne principale s’appelle Méréana ; si son travail dans la carrière ne lui laisse pas beaucoup de répit, elle a tout de même les pieds dans la société : elle écoute la radio, voit grimper les cours du pétrole, observe le train de vie des nantis, et veut aussi profiter de l’opulence qui semble être injustement l’apanage de quelques-uns. Les choses vont vite : elle fait part de ses réflexions à ses compagnes d’infortune et les voilà toutes d’accord pour négocier le prix du sac de cailloux à la hausse, Méréana proclamée porte-parole des revendications.
Parallèlement aux négociations en forme de bras de fer qui atteignent bientôt le sommet de l’Etat, ces quelques femmes se dévoilent, de secrets en confidences. Ainsi on découvre que Mâ Bileko est une ancienne femme d’affaires ruinée, on approche Iyissou la taciturne, on s’intéresse à Laurentine, la coquette du groupe, à Anne-Marie, toujours empêtrée dans ses histoires de cœur, on pleure sur la tragique histoire de Batatou et ses bébés. Chacune fait l’objet d’un portrait unique et inoubliable ; leurs récits mettent au jour la violence dont sont victimes les femmes africaines qui se battent au quotidien pour leur dignité et leur respect, tandis que le machisme et la violence masculine s’exercent dans toutes les sphères, et que le viol, le mariage forcé, la répudiation, la spoliation, sont encore trop monnaie courante. L’inertie des pouvoirs face aux ravages du sida, les grossesses non désirées, l’ignorance des filles, tout est évoqué sans tabou à travers la vie de ces personnages singuliers. L’école et les études sont souvent les seuls moyens de s’en sortir par le haut, Méréana en a fait la douloureuse expérience, elle qui a dû abandonner un brillant avenir à cause d’une grossesse accidentelle, mais qui met un point d’honneur à ce que ses propres enfants reçoivent une éducation.
En tirant les fils de ces vie, l’auteur dresse le portrait d’un pays tout en nuances : s’il rapporte le clientélisme et la corruption, maux majeurs d’une société gangrénée par l’argent et la soif de pouvoir, il raconte aussi la vie quotidienne de ces femmes résolument modernes auxquelles on s’identifie. En effet, envers et contre tous les clichés et l’exotisme auxquels le roman ne cède jamais, le lecteur se retrouve avec aisance dans cette population marquée par les préoccupations et les idées de son époque, connectée au reste du monde.

Les parcours individuels sont souvent douloureux, mais l’humour d’Emmanuel Dongala est là qui éclaire la photo, et on rit des crêpages de chignons entre rivales, on se reconnaît dans les engouements pour la mode, on palpite au rythme du cœur des amoureuses, on est happé par la vie virevoltante qui court tout au long du roman, nos préjugés bousculés par la force de ces héroïnes de tous les jours dont la solidarité, la générosité et la détermination revigorantes nous suivent longtemps après avoir refermé le livre.

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