La femme à la fenêtre
A.J. Finn

traduit de l'anglais par Isabelle Maillet
Pocket
février 2018
604 p.  8,70 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

L’entrée fracassante de A.J. Finn dans le monde du polar

Dans un quartier résidentiel aisé, des couples et des familles en apparence soudés suivent une routine confortable. Survient alors une disparition. Ou bien un meurtre. Ou encore les deux. A la suite du roman-phénomène de Gillian Flynn « Les apparences » (« Gone Girl »), qui a posé les bases du genre et mis le lecteur en appétit, elles sont quelques romancières à s’être pliées avec une certaine réussite aux lois du « thriller domestique ». Paula Hawkins (« La fille du train »), Wendy Walker (« Tout n’est pas perdu ») ou Megan Abbott (« Avant que tout se brise ») ont su jouer de cette tension psychologique qui nous pousse à tourner compulsivement les pages pour découvrir qui a commis l’irréparable, et surtout pourquoi.

Ces trois romans-là ont coché la majorité des cases. En voici un qui les coche toutes. « La femme à la fenêtre » est une cousine de « La fille du train », dans un dispositif à la Alfred Hitchcock et une atmosphère digne de M. Night Shyamalan (« Sixième Sens », « Split »). L’histoire d’une femme très névrosée et un peu voyeuse qui occupe ses journées solitaires à observer ses voisins de chez elle. Recluse parce qu’agoraphobe, séparée de son mari et de sa petite fille, elle tourne en rond. Plus elle déprime, plus elle picole. Plus elle est saoûle, plus est drôle. Plus elle fait sourire, plus on l’aime.

C’est le bonus de ce livre. On craque pour Anna, sa passion du cinéma en noir et blanc (dont… « Fenêtre sur cour »), sa mauvaise foi, son sens de l’auto-dérision et du triste spectacle qu’elle offre, à traîner à toute heure du jour en robe de chambre, pas coiffée, guère lavée, les dents rincées au Merlot. Un personnage principal si réussi, si juste, si touchant, c’est rare. Quoi qu’elle fasse ou qu’elle ait fait, on veut qu’elle ait le dernier mot. Surtout quand elle prétend avoir vu, de sa fenêtre, quelqu’un se faire poignarder à l’étage d’en face. On ne la croit pas ? On la suspecte ? Il est vrai qu’elle ment si bien…

Sous son regard brouillé par les effets de l’alcool et d’on ne sait quel traumatisme, toute la petite communauté de sa rue semble louche. Elle incluse. Les révélations vont faire tomber les masques et les rebondissements monter la température. A l’ultime retournement de situation, certains se diront qu’une nouvelle romancière très douée a rejoint le club par la grande porte. Erreur : l’auteur qui nous a baladé ainsi sous le pseudonyme d’A.J. Finn est un homme. Daniel Mallory, beau gosse de 38 ans, a étudié à Oxford et débuté comme journaliste avant de devenir éditeur… de polars. Il était même vice-président d’une maison new yorkaise lorsqu’il a écrit ce roman, à ses heures perdues.

Le personnage d’Anna tient beaucoup de lui, qui a lutté quinze ans contre la dépression. Et l’accroche du livre lui est venue un soir où les allées et venues de sa voisine d’en face l’ont détourné du film qu’il regardait : « Fenêtre sur cour ». Les éditeurs américains, alléchés, se sont disputé son manuscrit. Le plus ironique, et il n’y est pour rien, c’est que c’est sa propre maison qui l’a emporté. Ruée générale, d’ailleurs, car le livre est publié dans 38 pays, score exceptionnel pour un premier roman. Devant un tel accueil, il a choisi de démissionner pour se consacrer pleinement à l’écriture. L’édition a perdu une pointure, le polar a gagné un talent.

Lire notre interview de A.J. Finn ici

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