Les chemins de la haine
Eva Dolan

Points
policiers
janvier 2018
524 p.  8,30 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Cet ouvrage est le coup de cœur de la librairie L’arbre à papillons (Phalpsbourg) dans le quoi lire ? numéro 25

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Un roman de rupture

A ceux qui ont lu – et sans doute aimé – le récent « Entre deux mondes » d’Olivier Norek, les « Chemins de la haine » d’Eva Dolan sembleront peut-être prolonger la même sombre histoire de l’autre côté du Channel. Chez le Français, des réfugiés moyen-orientaux aspirent à traverser ce bras de mer pour se faire une place au maigre soleil d’un Royaume-Uni qui leur refuse l’asile. Chez la romancière britannique, d’autres migrants, est-européens ou asiatiques, se sont fait un trou Outre-Manche, souvent minuscule et bien caché. Un toit, un petit boulot, juste de quoi vivoter.

Leur semi-clandestinité est-elle pour autant plus enviable que la survie dans la « Jungle de Calais » ? Le Français adoucit le cauchemar d’un souffle d’espoir et de solidarité. L’Anglaise, dans le droit fil de Dickens, dépeint avec un réalisme quasi-documentaire une terrible filière esclavagiste. Un monde de violence extrême où, sur les chantiers, les « Kapos » locaux imposent les pires humiliations pour briser les volontés et toucher leur part.

Dur programme pour un premier roman. Eva Dolan le rend pourtant captivant grâce à un duo immédiatement attachant. L’inspecteur Zigic est aussi réfléchi et réservé que le sergent Ferreira est impétueuse et expressive. Idéalement complémentaires, les deux enquêteurs de la brigade des crimes de haine arrivent blindés. Car la haine, ces deux enfants d’immigrés, lui serbes et elle portugais, ils la flairent instinctivement.

Ils savent aussi lire les silences, cette omerta qu’on leur oppose à chaque affaire. Cette fois, un homme est mort dans la cabane qu’il squattait derrière un pauvre cottage, carbonisé. Un Estonien semble-t-il. Crime d’extrémiste ? Colère d’un voisin excédé ? L’auteur, et avec elle ses deux personnages principaux, ne s’arrête pas aux stéréotypes faciles, à l’écume idéologique. Son intrigue est plus complexe que cela, la psychologie y tire subtilement les ficelles.

Avec ce premier volet d’une série que l’on espère durable, Eva Dolan vient incarner un renouveau du polar à l’anglaise qui semble happé par le social, remisant les services à thé en porcelaine pour des gobelets en carton fumant dans les matins blêmes. Les caractères sont aussi justement typés que chez les reines du crime de la génération précédente. Simplement, on est monté d’un cran dans la dureté, la colère, la tension. Un roman de rupture, de cassure. A l’image d’un pays fissuré par le Brexit, peut-être…

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