Prends ma main
Megan Abbott

traduit de l'anglais par Jean Esch
Livre de poche
grands formats
janvier 2019
336 p.  8,40 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Du sang et du suspense

Si elle n’était pas romancière, on conseillerait à Megan Abbott de se faire vulcanologue. Depuis neuf romans, dix maintenant, elle excelle à sonder la psychologie féminine comme un scientifique observe le magma affleurant sous la croûte terrestre. De cette secrète alchimie entre hormones et neurones, de ce brouet intime de sentiments et de pulsions, elle fait une matière explosive à retardement, les blessures de jeunesse prêtes à entrer en éruption des années plus tard, armant un geste fatal.

Elle en est convaincue, l’adolescence est le moment clef d’une existence, un âge chahuté, parfois douloureux, où se modèle l’adulte à venir. Elle l’a affirmé avec force au travers des pom pom girls de « Vilaines filles » ou des gymnastes d’« Avant que tout se brise ». Deux livres qui ont marqué un virage réaliste dans son œuvre. Désormais, dépassant les exercices de style de ses débuts, elle se passe de clins d’oeil aux femmes fatales du cinéma et de la littérature populaires, pour se focaliser sur ses propres références et ses propres obsessions.

Le huis clos en est une. Passionnée par « les systèmes fermés, les mondes dans un monde », comme elle nous l’expliquait lors d’un récent passage à Paris, Megan Abbott aime quand les fortes personnalités nées de son imagination se croisent d’un peu trop près et font des étincelles. En ce sens, « Prends ma main », son dixième opus, est un aboutissement. La narratrice Kit et son amie Diane échangent des secrets à l’adolescence, croient se perdre de vue à jamais, puis se retrouvent à la trentaine, chercheuses en biochimie affectées au même projet.

Quoi de plus fermé qu’un labo ? Quoi de plus exigeante qu’une scientifique ? Renvoyant les émois post-pubères à une simple ponctuation en flashbacks, l’auteur durcit le ton en confrontant deux femmes adultes, matures, résolues. Attirées chacune par l’intelligence et la différence de l’autre, elles tanguent entre alliance et rivalité, leur ambition attisée par une cheffe dominatrice, la bien nommée Dr Severin (comme le héros de « La Venus à la fourrure »). Derrière ce Docteur en perversité, l‘équipe étudie un trouble qui affecte certaines femmes durant les règles. Le sang est omniprésent, sous les lamelles et dans les esprits…

Ce mélange d’amitié toxique et de revanche sur la vie ne peut que tourner à l’affrontement violent, mortel. Et l’on ne parle pas juste des victimes collatérales masculines, ces hommes que Megan Abbott glisse comme témoins ou instruments de ses intrigues, et qu’elle zigouille par souci d’équité, après que tant de femmes ont été sacrifiées dans l’histoire du roman noir. Non, il faut que, de Kit, de Diane et de leur manipulatrice aux talons aiguisés comme des lames, une femme paie et s’efface. Et jusqu’à l’issue, le lecteur-voyeur est, bien sûr, captivé.

 

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