Le pont invisible
Julie Orringer

Traduit par Josée Kamoun
Points Seuil
juin 2014
905 p.  9,60 €
 
 
 
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le pont invisible

« Le pont invisible » est sorti en 2013, juste avant l’été, et il est passé presque totalement inaperçu. Sa parution en poche,  lui offre une seconde chance, alors profitez-en, car se plonger dans ce roman de Julie Orringer, c’est se réfugier dans une bulle où plus rien d’autre n’aura d’importance que l’histoire de Klara Morgenstern et d’Andras Levi, de leurs familles et leurs amis, emportés dans la tourmente de la deuxième guerre mondiale.

L’histoire, qui se déroule entre Paris et Budapest, est celle de trois frères dont l’un espère devenir architecte, l’autre médecin et le troisième Fred Astaire. Un pont invisible relie ces villes, les personnages, les religions, les classes sociales. Andras, le héros pour lequel Julie Orringer s’est inspirée de son grand-père, est un jeune Hongrois d’origine modeste. Les lois anti-juives l’empêchant de poursuivre ses études d’architecture à Budapest, il a réussi à obtenir une bourse pour Paris. Là-bas, il fréquente la meilleure école, se trouve face à des professeurs d’une grande humanité, présente des projets devant un jury composé d’Auguste Perret et Le Corbusier. Ce dernier est tellement impressionné par l’une de ses maquettes, qu’il s’en souviendra plus tard pour la conception de Chandigarh. Si les personnages sont fictifs, la toile de fond, elle, est authentique. Pas de saga sans histoire d’amour, et celle que vont vivre Andras et Klara, de onze ans son aînée, est une idylle qui deviendra en marge du drame qui se joue en Europe, le fil rouge de ce récit. Elle est professeure de danse et vit dans le Marais avec sa fille qu’elle a eue à quinze ans. Klara aussi est hongroise, elle a dû quitter son pays pour des raisons qui seront révélées plus tard. Mais, aussi passionnant que soit le début de ce récit, c’est au moment où ils doivent quitter Paris – parce que l’ambassade refuse de renouveler leur visa -qu’il prend une tout autre ampleur, en nous projetant dans le tourbillon de la guerre.

Julie Orringer, quarante ans, s’est immergée dans ce passé qu’elle n’a pas vécu, s’en est imprégnée. Son talent, la romancière le met au service du fond et de la forme : recréer les ambiances, décrire le quotidien, ne pas négliger les petits détails, mais aussi construire une intrigue et rendre, avec beaucoup de subtilité, ses personnages bouleversants.  

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coup de coeur

Une lecture aussi essentielle qu’émouvante

Le destin extraordinaire d’une famille de juifs hongrois prise au piège du nazisme puis dans l’étau de la guerre. En 1937, Andras Lévi quitte sa famille et son pays et s’installe à Paris pour y suivre les études d’architecture que l’instauration d’une politique de quota limitant l’accès des juifs aux universités lui interdit dans son pays. Le jeune homme découvre la vie parisienne, se lie d’amitié avec quelques camarades de classe, s’implante dans la communauté hongroise. Il tombe amoureux de Klara, plus âgée que lui, mère d’une adolescente et traînant un lourd passé qui l’a obligée à s’enfuir de Hongrie. C’est le bonheur, malgré l’éloignement, malgré le manque de ses parents et de ses deux frères restés à Budapest. Le bonheur malgré la montée de l’antisémitisme jusque dans les murs de l’école spéciale d’architecture. Mais un bonheur de courte durée. L’Europe s’enflamme, les nations mobilisent. Les autorités hongroises annulent son visa, Andras doit rentrer en Hongrie accompagné de Klara. Débute alors une période d’épreuves et de souffrances qu’aucun d’entre eux n’aurait pu imaginer.

On connait peut-être moins la situation de la Hongrie que celle d’autres pays pendant la seconde guerre mondiale. Malgré l’alliance avec l’Allemagne et bien que des mesures extrêmement dures aient été appliquées à l’égard des juifs, le gouvernement hongrois a réussi à contenir dans une certaine mesure les exigences des nazis jusqu’en 1944 où Hitler, agacé par tant d’indiscipline envoie ses troupes SS envahir le pays. Par la voix de ses personnages, par les informations que les uns et les autres glanent sur ce que les nazis mettent en oeuvre dans d’autres contrées, la Pologne et même la France, l’auteur laisse entendre que la Hongrie était le pays d’Europe de l’est où les juifs ont été le moins maltraités… Ce qui n’empêche pas Andras de frôler la mort dans les différents camps de travail où il est envoyé, et n’empêchera pas non plus les morts.

Ce livre, très bien documenté montre efficacement comment les destins de simples êtres humains sont irrémédiablement impactés par les grandes décisions politiques et, la plus terrible de toutes, la guerre. C’est un beau roman, construit autour de personnages attachants et d’une histoire d’amour hors du commun. Il ne faut pas se laisser rebuter par le poids (800 pages), on n’a jamais envie d’abandonner, bien au contraire.

Essentiel et poignant. Surtout lorsque l’on apprend via les remerciements, qu’il s’agit de la propre famille de l’auteur. Et qu’il faut parfois savoir poser des questions.

Enfin, difficile de ne pas citer quelques vers du poème que Julie Orringer a choisi de placer à la fin de son récit, intitulé « Tout cas » et signé de la poétesse hongroise Wislawa Szymborska, prix Nobel de littérature en 1996 :

« Tu as survécu parce que tu étais le premier
Tu as survécu parce que tu étais le dernier
Parce que seul, parce que les autres
Parce qu’à gauche, parce qu’à droite
Parce qu’il pleuvait, parce qu’il faisait soleil
Parce qu’une ombre est passée. »

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