Rien ne s'oppose à la nuit
Delphine de Vigan

Livre de Poche
parution initiale en 2011
408 p.  7,90 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
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Mourir vivante

« Ma mère était bleue, d’un bleu pâle mêlé de cendres, les mains étrangement plus foncées que le visage, lorsque je l’ai trouvée chez elle, ce matin de janvier. » Parce qu’elle n’arrive pas à joindre sa mère, Delphine de Vigan se rend chez elle. Et là, c’est le drame. Lucile s’est suicidée depuis plusieurs jours et elle a préparé des petits cadeaux pour les gens qu’elle aimait. Maniaco-dépressive, elle semblait pourtant aller mieux ces derniers mois, avoir repris goût à la vie. Mais dans la lettre qu’elle adresse à ses « filles chéries, les deux personnes qu’elle a le plus aimées au monde », elle leur explique qu’elle « préfère mourir vivante. » C’est ce parcours fait de quelques hauts mais surtout de nombreux bas que raconte ce si beau livre qui vous prend aux tripes. « Rien ne s’oppose à la nuit » a fait écho chez des dizaines de milliers de personnes, qui éprouvèrent un infini chagrin pour cette femme qu’ils ne connaissaient pas et dont, pourtant, ils se sentaient proches. Il aura fallu ces quatre cents pages à Delphine de Vigan pour qu’elle arrive à pardonner à Lucile son suicide. Et finisse même par admirer son courage. 

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coup de coeur

Ma mère, mon amour, ma douleur

« La douleur de Lucile, ma mère, a fait partie de notre enfance et plus tard de notre vie d’adulte, la douleur de Lucile sans doute nous constitue, ma sœur et moi, mais toute tentative d’explication est vouée à l’échec. L’écriture n’y peut rien, tout au plus me permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. La famille de Lucile, la nôtre par conséquent, a suscité tout au long de son histoire de nombreux hypothèses et commentaires. Les gens que j’ai croisés au cours de mes recherches parlent de fascination ; je l’ai souvent entendu dire dans mon enfance. Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence. Le livre, peut-être, ne serait rien d’autre que ça, le récit de cette quête, contiendrait en lui-même sa propre genèse, ses errances narratives, ses tentatives inachevées. Mais il serait cet élan, de moi vers elle, hésitant et inabouti. »

Que dire qui n’ait pas déjà été dit, tant cet ouvrage a déjà été commenté ? J’ai été extrêmement touchée, bouleversée même parfois par cette narration. Ce livre n’est en effet pas vraiment un roman, puisque Delphine de Vigan retrace pour nous la vie de sa mère, et une bonne partie de la sienne, notamment ses souvenirs d’enfance. Nous entrons par la petite porte dans cette famille pour le moins atypique et assistons à leur vie au quotidien, ainsi qu’à tous les grands évènements qui ont marqué la famille en général et plusieurs de ses membres en particulier.

Nous sommes bien sûr dans le domaine de l’intime et je crois qu’une des grandes qualités de ce récit est de nous faire partager la vie de cette famille sans qu’on ait l’impression d’être un intrus, un voyeur. L’auteur décrit les faits, les caractères, les agissements de ses parents, de ses frères et sœurs, des oncles et tantes et les siens propres avec une pudeur, et surtout un amour et un respect qu’on sent à travers les pages. Ecrire sur sa famille doit être terriblement difficile, surtout quand le caractère de la mère, sa personnalité vont être ainsi disséqués et qu’on en touche tous les aspects : qualités comme défauts, moments merveilleux comme déchéance, complicité comme violences.

Car tout n’est pas rose dans cette famille, loin de là, malgré l’amour et l’ouverture d’esprit qui semblent dominer. Il faut savoir que dans le milieu dans lequel est née l’auteur, on ne parle pas, on ne se plaint pas, on vit en faisant comme si, on donne le change, on sourit à l’adversité et aux gens qui nous entourent pour faire croire que tout va bien, sans jamais aborder les problèmes. On ment et on se ment à soi-même, et on fait bonne figure. Cet aspect-là m’a énormément touchée, ces non-dits d’une violence extrême, ce coté fuyant face à la réalité qu’on ne veut surtout pas regarder en face quand elle ne correspond plus à ce que la société pourrait juger acceptable, et qu’on tait, qu’on ensevelit.

Ainsi se développent les grandes névroses, les douleurs intimes, les fêlures. Ainsi vont les gens, personnes bancales en mal d’amour et d’écoute et qui, parfois, n’en peuvent plus et se suicident…

La mère de Delphine de Vigan a donc grandi dans cette famille tout à la fois ouverte au monde et fermée au sentiment, à l’intime, au dialogue, bien que revendiquant haut et fort son ouverture d’esprit et sa tolérance. Elle s’est construite tant bien que mal entre des parents qui m’ont semblé en dessous de tout, ne prenant pas leurs responsabilités, inconscients, irresponsables, et que j’ai jugés totalement fautifs : Lucile ne serait jamais devenue ce qu’elle fut, n’aurait sans doute (j’en suis persuadée) jamais été si cyclothymique, si dépressive si ses parents avaient été plus présents, l’avaient écoutée, avaient communiqué… Grand mot de notre époque, certes, qu’on galvaude un peu, mais je suis persuadée que la parole au sein de la famille peut éviter de tels débordements, ces silences qui creusent des fossés dans le cœur des gens bien plus que ne pourraient le faire les mots. J’entends bien sûr la parole constructive mais pas ces mots parfois lancés qui peuvent blesser et même tuer plus sûrement que la flèche la plus acérée…

Il est assez étonnant de voir que l’auteur semble s’en « être sortie » bien qu’elle ait eu une mère incapable d’assumer son rôle, ou tout du moins, en pointillé. J’ai été aussi très émue par l’amour qui émane de ce texte, qui n’est qu’un long cri à la mère, pour lui dire que malgré tout, elle a été une maman formidable.

J’ai lu ce livre d’une traite, avec à chaque page une boule au creux du ventre, l’envie de pleurer. De donner des baffes aussi, à certains membres de la famille qui ne se rendent pas compte de leur attitude, qui sont d’une inconscience totale du mal qu’ils causent. En moi des sentiments mélangés et parfois antinomiques : compassion, rage, admiration, fascination même pour Lucile qui rayonne malgré les poids qu’elle porte… Bref, un livre qui ne m’a pas du tout laissée indifférente, qui m’a prise aux tripes et remuée bien plus que ce à quoi je m’attendais.

Ajoutez à cela une écriture magnifique, que l’auteur maîtrise maintenant à merveille. On sent très nettement une progression au fur et à mesure de ses écrits, et qu’elle atteint une maturité et une plénitude dans l’écriture qui font d’elle une grande auteur.

Lisez « Rien ne s’oppose à la nuit » si ce n’est déjà fait !

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Je me demande pourquoi…

J’ai aimé l’écriture de Delphine de Vigan sans toutefois lui trouver un caractère particulier. C’est une écriture fluide, agréable, mais sans plus. Aucune vibration particulière, mais également aucune entrave à la lecture. En résumé, j’ai trouvé cette écriture efficace.

Par contre, quelque chose m’a profondément agacée : les états d’âme de mademoiselle De Vigan. Je me contrefiche de savoir que sa cave est trop étroite pour contenir les boites de cassettes enregistrées par son grand-père ou que son mari se fasse du souci pour elle ou encore qu’elle mange avec sa sœur. Ce roman (que j’ai beaucoup aimé) aurait je crois, gagné à voir disparaitre le chapitre de remplissage qui se trouve tous les deux ou trois chapitres. Il aurait, j’en suis certaine, gagné en intensité. Ces chapitres supposément d’aération sont pour moi des chapitres de diversion. Grrrrrrr!

J’en viens enfin au contenu du roman.
Ma lecture a été douloureuse, j’en ai bavé. J’ai pleuré. L’histoire de Lucile et de la famille Poirier a ravivé en mois de nombreuses blessures. Bipolarité, agression sexuelle, suicide ont fait partie de ma vie et l’identification était au détour de nombreuses pages de ce roman. Et l’impuissance, toujours l’impuissance, cette impuissance de tous et chacun, ce sentiment que les choses nous échappent, que l’on est comme les passagers d’un train lancé à toute vitesse.
Si certain(e)s d’entre vous n’ont pas connu de tels événements, comment un tel texte peut-il alors résonner? J’ai pu, pour ma part, effectuer des liens avec des moments vécus, mais pour celui ou celle qui n’a pas vécu de telles choses, comment se situe-t-il? Est-il comme un voyeur? Un spectateur? Éprouve-t-il de la compassion?
Même en les ayant vécus, ces événements semblent hors du temps, inaccessibles, l’on se demande toujours si cela est bien arrivé tellement c’est hors norme. Alors, pour quelqu’un qui ne s’est jamais trouvé dans de telles situations, est-ce acceptable? La lecture est-elle tout de même enrichissante? Est-elle douloureuse?
Je me questionne.
Et je me pose d’ailleurs cette autre question. Quelle est l’utilité d’un tel récit? Pour ceux qui ne connaissent pas ces douleurs, pourquoi vouloir s’en approcher et pour ceux qui les ont vécues et les ont apprivoisées, pourquoi vouloir les raviver?
Je crois que j’ai aimé ce livre, mais… j’ai également apprécié le refermer.

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Une file et sa mère. Amour et dignité

« Rien ne s’oppose à la nuit »  est aussi le regard exceptionnel d’une fille sur sa mère malade. Un regard qui correspond à une idée qu’on peut se faire de l’amour : sans concession sur la vérité du mal qui les atteint différemment toutes les deux et qui n’abolit pas pour autant la dignité et le courage entre elles; sans concession non plus sur la recherche des mots justes qui font vivre, questionnent et qui les empêchent de se figer.

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