Chien-Loup
Serge Joncour


août 2018
480 p.  8,50 €
 
 
 
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coup de coeur

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Ca manque un peu de chien

Franck et Lise sont un couple moderne branché. Lui est producteur et cinéaste, il est à un palier de sa carrière.
Elle est actrice, elle a connu le succès, elle est aussi à la fin d’une étape. Elle a besoin d’une pause, d’un pas de recul.
Elle réussit à emmener son homme en vacances, bien qu’il soit du genre addict au boulot. « Ce que femme veut, Dieu le veut », dit le proverbe…
C’est d’autant plus une prouesse de sa part qu’elle a déniché un endroit très secret, très isolé, très peu voire pas du tout « connecté », une vieille bâtisse perdue en haut d’une colline où la forêt grandit librement depuis des décennies, à l’écart d’un petit village du Lot.
Le lieu semble doté d’une puissance un peu magique, sans doute liée à son histoire pendant la première guerre mondiale. Et de fait, la magie va opérer, sur Franck surtout.
Serge Joncour choisit, pour nous faire vivre la transformation de Franck autant que l’histoire du village, d’alterner de courts chapitres traitant tour à tour du présent et du passé. Le procédé est habile, le style classique est agréable, plutôt fluide et le propos a surtout du fond, c’est donc un bon bouquin, mais …
Le fond, c’est une réflexion sur la part d’animalité qui se cache en chacun de nous, sur la violence qui régit les rapports entre les êtres, et peut-être sur la spécificité surprenante de l’espèce humaine, seule capable de comportements compromettants pour sa survie, la seule puisque les animaux ne font pas la guerre… C’est aussi un regard critique sur nos tendances à vouloir nous affranchir de notre animalité en nous soumettant à la technologie, regard d’ailleurs particulièrement ciblé sur la génération trentenaire en l’occurrence.
J’adhère au fond, bien sûr, et le procédé d’alternance passé-présent m’a plutôt séduit. Mais l’ambiance générale m’a amené à rester, un peu trop à mon goût, simple spectateur d’une intrigue que je n’ai pu m’empêcher de trouver laborieuse. Question de tonalité, de manque de dialogues peut-être ou de leur caractère un peu plaqué, c’est difficile à dire et je n’incrimine pas le style, c’est simplement que l’alchimie n’a pas fonctionné sur moi au point que j’escomptais. Il manque la dose de nervosité qui aurait pu rendre le livre addictif. Petite déception donc pour moi donc, dommage…

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C’est une belle histoire que nous raconte là Serge Joncour, un roman à la Giono, mêlant hommes et bêtes dans des territoires reculés, des terres quasi sauvages où la nature prolifère.
Lise, actrice parisienne sans emploi, a repéré une location de vacances sur Internet : dans le Lot, « au coeur du triangle noir du Quercy », à une demi-heure de Limogne, une maison inoccupée depuis fort longtemps sur une hauteur au milieu d’une espèce de jungle, un lieu très difficile d’accès – ils devront louer un 4X4 -, sans télé ni Wi-Fi. Et le premier village à 25 km ! Tandis que Lise trouve ce gîte idéal pour l’été, Franck, en vrai Parisien, n’imagine même pas une seule seconde un mois d’août dans ce trou perdu sans que mort s’ensuive.
Je vous laisse deviner qui aura le dernier mot…
À peine arrivée, Lise admire le paysage à couper le souffle, heureuse d’être enfin loin des mauvaises ondes et de la pollution urbaine : elle souffle, se sent immédiatement dans son élément. Rien ne l’effraie : ni le côté rustique de la maison, ni l’absence de confort, ni cette nature rude et sauvage, ni les feulements et les hurlements nocturnes, ni les yeux gris-vert qui dans l’obscurité les regardent prendre leur premier dîner sur la terrasse.
Franck, lui, est perdu : il est clairement hors de sa zone de confort, court partout pour tenter de choper une barre, une toute petite barre qui lui permettrait de communiquer avec ses contacts. « Sans plus le moindre sang-froid il se mit à marcher de long en large pour essayer d’attraper du réseau quelque part, il tenait le téléphone tendu devant lui, comme une télécommande pour rallumer le monde. » Son métier de producteur le contraint à rester joignable n’importe quand, d’autant que ses nouveaux collaborateurs sont prêts à pactiser avec le diable, en l’occurrence Netflix et Amazone, ce que Franck, adepte du cinéma en salle, refuse catégoriquement. Loin de tout, il a le sentiment de ne plus rien maîtriser et de se faire manger par ses deux collègues formatés par les jeux vidéo, deux jeunes loups qui veulent livrer son catalogue de films au plus offrant.
Pour lui, c’est clair, il ne restera pas trois semaines dans ce lieu.
En attendant, ils sont seuls comme des naufragés sur une île déserte. S’il leur arrivait le moindre problème, personne ne pourrait leur venir en aide.
Personne.
Que feront-ils lorsqu’un chien-loup viendra tourner autour de la maison ?
Parallèlement à l’histoire de Lise et de Franck, Serge Joncour nous en raconte une seconde, une plus ancienne qui commence en juillet 1914. Dans ces mêmes lieux, un siècle plus tôt, dans un village appelé Orcières-le Bas, hommes et animaux sont réquisitionnés : c’est la guerre. Ils doivent partir. Fernand le maire a l’idée géniale de cacher sur le mont, dans des prairies, deux cents moutons. Parce qu’il faut bien que les gens mangent. Mais ce qu’il doit cacher ne s’arrête pas à cela : dans des carrioles bariolées estampillées Pinder viennent de débarquer huit grands fauves, cinq lions et trois tigres, accompagnés de leur maître, un dompteur musclé à l’accent allemand : Wolfgang Hollzenmaier.
Or le tocsin vient rapidement mettre fin à cette ambiance de fête : le chapiteau est démonté au plus vite, les clowns, jongleurs et acrobates sont réquisitionnés. Il reste juste un dompteur qui veut protéger ses bêtes. Que fait-on d’un dompteur allemand en temps de guerre et de surcroît sur un territoire ennemi ? Le livre-t-on aux autorités ? Et puis, ces fauves, il faut qu’ils mangent ! Les animaux vont-ils passer avant la population qui a faim ? Ne risquent-ils pas de s’échapper à la moindre occasion et de se jeter sur les enfants du village ? Le maire et l’instituteur insistent pour qu’on les cache et c’est ainsi que l’homme et ses fauves trouvent refuge dans une maison en hauteur… celle-là même que loueront Lise et Franck un siècle plus tard sans imaginer une seule seconde tout ce qui a pu se passer dans cet espace où ils comptent se reposer !
Les lieux gardent-ils la mémoire des événements passés ? Les fauves de Wolfgang hantent-ils les lieux un siècle plus tard ? Rôdent-ils encore le soir aux abords de la maison, prêts à dévorer les petits Parisiens vegan à la chair tendre ?
Comment Franck va-t-il supporter cet isolement qui, paraît-il, peut rendre fou ? Va-t-il vaincre sa peur, accepter d’être observé le soir par on ne sait quelle bête féroce ?
Oui, il y a du suspense dans ce roman et beaucoup de tension. On sent que quelque chose va craquer comme ces violents orages qui déchirent le ciel au coeur d’un été étouffant.
Mais surtout, c’est une histoire magnifique, de celles qu’on n’écrit plus vraiment, une histoire d’hommes et de bêtes, de violence et d’amour, de haine et de complicité, de peur et de tendresse. Oui, une bien belle histoire, permettant aussi d’explorer la part de « sauvage » présente dans tout être civilisé et qui ne demande qu’à refaire surface si l’occasion s’en présente.
Allez, pour apporter un bémol à cette avalanche de compliments, il me semble que ce texte fabuleux aurait peut-être mérité une écriture avec plus de relief, plus d’éclat, une écriture qui aurait eu quelque chose à voir avec celle de Giono… (Mais sans doute, est-ce ma passion pour l’auteur d’Un Roi sans divertissement qui m’égare ?)
Et puis, je me demandais s’il n’était pas possible d’échapper à l’alternance par trop mécanique de courts chapitres renvoyant aux deux époques du livre, procédé tellement répandu actuellement…
Peut-être suis-je bien sévère pour finir… Car je le répète : j’ai pris un immense plaisir à lire ce scénario captivant, cette folle histoire d’hommes et de bêtes dont je ne peux que vous conseiller la lecture !

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