Sigmaringen
Pierre Assouline

Folio
janvier 2014
368 p.  8,50 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Sigmaringen ou l’exil des vaincus

 
Julius Stein, comme son père et son grand-père avant lui, est majordome général du château des princes de Hohenzollern, à Sigmaringen en Allemagne. Il est celui qui, dévoué corps et âme à sa fonction et à la famille d’aristocrates qu’il sert, veille à la bonne marche du palais. Mais en septembre 44, Hitler réquisitionne les lieux pour y installer le gouvernement de Vichy en exil. Stein regarde donc, avec un certain effarement, le maréchal Pétain prendre ses quartiers dans l’auguste demeure, ainsi qu’une troupe plus ou moins hétéroclite de ministres accompagnés de leurs épouses, leurs secrétaires, que suivent quelques personnages au rôle trouble.
Stein est obsédé par l’idée de tenir son rang et de faire en sorte que le château conserve tout son lustre pour le jour où les Hohenzollern reviendront. Cependant il observe, et c’est par son regard que Pierre Assouline raconte et met à jour des scènes où l’incongruité côtoie le pathétique : il nous montre, entre autres, à quel point ces personnalités ont perdu le sens des réalités. On voit ainsi des ministres continuer à travailler comme si cet exil n’était qu’une péripétie, comme si la guerre n’était pas désormais perdue. Ils complotent, mais aussi ripaillent, pérorent, et peuvent en arriver à se plaindre du service quand l’Europe entière ne mange plus à sa faim. Rivalités, faux-semblants, enjeux de pouvoir, idéologie tonitruante et bassesses, Pierre Assouline dissèque ce huis-clos avec une précision d’entomologiste. Son travail, très documenté comme toujours, permet au lecteur de se plonger dans cette ambiance de fin de guerre et cet exil en Allemagne peu évoqué jusqu’à présent en littérature. Comme dans « Lutetia », un de ses précédents romans, il a choisi de donner la parole à un homme de l’ombre, à la fois au cœur même de l’action tout en y étant étranger. Stein reste lucide et distant, mais cette guerre qui s’invite chez lui l’ébranle. Et une jeune femme, Jeanne Wolfermann, l’intendante du maréchal, le trouble et le contraint à sortir de sa réserve.
Mais le romancier ne se contente pas de décrire le quotidien des hommes célèbres –à défaut de grands hommes- qui séjournent au château. Il nous raconte aussi la ville de Sigmaringen, où deux mille Français s’installent dans les jours qui suivent l’arrivée de Pétain. C’est toute une population en déroute fuyant la France, dans la peur panique que le pays soit livré aux bolchéviques ou parce que, plus prosaïquement, coupables d’actes de collaboration, ces gens craignent pour leur vie. Catholiques intégristes, escrocs ou intellectuels antisémites, ils arrivent pour la plupart sans le sou, sont logés chez l’habitant et dans la plus grande confusion cherchent à fuir en Suisse ou ailleurs, errent sans fin dans la ville. Et parmi eux, un personnage intéresse tout particulièrement Pierre Assouline : un médecin, le docteur Destouches, autrement dit Louis-Ferdinand CélineEcoutez

Ecoutez l’entreVue que nous a accordé Pierre Assouline à propos de Sigmaringen

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