Tout ce qui est solide se dissout dans l'air
Darragh MCKEON

traduit de l'anglais par Carine Chichereau
10 X 18
roman
août 2015
456 p.  8,80 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le roman de Tchernobyl

Lorsque la centrale de Tchernobyl s’enflamme, le 26 avril 1986, Darragh McKeon a sept ans et grandit en Irlande. A priori, il n’y aucun lien entre les verts pâturages de l’Eire et la ville sinistrée d’Ukraine. C’est pourtant cette catastrophe nucléaire qu’il a choisie comme thème et fil rouge de son premier roman, « Tout ce qui est solide se dissout dans l’air ». Tchernobyl et ses conséquences sur la population européenne, Tchernobyl qui annonce la chute prochaine de l’empire soviétique… L’histoire débute avec un jeune garçon, Eugueni. Formidablement doué pour le piano, il l’est moins pour se battre contre les camarades qui le harcèlent, et s’en prennent à ses mains, son outil le plus précieux. Eugueni vit avec sa mère, et sa tante, Maria, une ancienne journaliste dissidente qui purge sa faute dans une usine où elle est devenue ouvrière. Il y a longtemps, celle-ci était mariée à Grigori, un chirurgien. Du jour au lendemain, il doit partir en Ukraine, où un accident s’est produit dans une centrale nucléaire. Une fois arrivé là-bas, il ne met pas longtemps à mesurer l’ampleur de la catastrophe et des dégâts humains qu’elle a provoqués. Mais, pour le gouvernement soviétique d’alors, plutôt mentir et mourir, que reconnaître l’étendue du drame et tenter de sauver ce qui peut l’être : aucune précaution n’est prise, aucune protection n’est prévue, il y a pénurie de médicaments, et très vite les familles comptent leurs morts. Des maladies, inconnues jusque là, apparaissent et tuent les gens à petits feux dans d’épouvantables douleurs.

Lorsqu’il était enfant, Darragh McKeon a vu des enfants, victimes de Tchernobyl, débarquer dans son village, accueillis par des voisins qui tentaient de les sauver et de les remettre sur pieds. Cette image l’a hanté, puis l’a poussé, en 2004, à entamer ses premières recherches sur ce qui s’était passé. Il s’est rendu sur place en 2011. Confronter ce qu’il avait imaginé à la réalité. Il en a écrit un roman riche, passionnant, angoissant aussi, qui prend parfois des allures de document, un livre dans lequel la musique l’emporte sur la tragédie sous les doigts virtuose du jeune Eugeni. Alors, tout espoir est permis…

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coup de coeur

Petite devinette : le 26 Avril 1986, qu’est-ce que ça vous évoque ? Indice : la Russie.

« Tout ce qui est solide se dissout dans l’air » traite de la catastrophe de Tchernobyl et de la façon dont les autorités russes ont tenté de résoudre ce problème car, et cela fait froid dans le dos, aucun ingénieur ni aucun technicien n’avait imaginé au moment de la construction de la centrale atomique, qu’un tel événement puisse survenir.

Bien qu’irlandais, Darragh McKeon retranscrit très bien la vie quotidienne, les travers et les soubresauts de l’URSS au moment où Gorbatchev accède au pouvoir et entame la pérestroïka.

Au petit matin de ce funeste 26 Avril 1986, Artiom, 13 ans, accompagne pour la première fois son père et d’autres hommes du village à la chasse. Mais les couleurs du ciel lui paraissent inhabituelles, le comportement des animaux étrange : « Juste après le premier tir, les oies s’égaillent dans les airs, mais alors que normalement elles devraient s’envoler d’un mouvement souple et rapide, assez bas sur l’horizon, elles s’élèvent et retombent au sol, ou s’éloignent de quelques mètres avant de s’écraser dans l’herbe, roulant en un simulacre d’envol ivre et sans grâce, d’ailes molles et de pattes qui se défilent. Les hommes rechargent et rient, mais très vite ils s’arrêtent. Tous ressentent un malaise grandissant devant la vision absurde qui s’offre à eux. »

Dans le même temps, à Moscou, Grigori, chirurgien réputé, soigne le doigt cassé d’Evgueni, 9 ans, et neveu de son ex-femme Maria. Evgunei est un garçon sensible, pianiste virtuose et souffre douleur de son école.

Maria, après son divorce, est allée vivre auprès de sa soeur et de son neveu. Elle a été contrainte de quitter son poste de journaliste après avoir écrit des articles jugés trop subversifs. Elle travaille depuis à la chaîne dans une usine automobile.

Ces destins qui se croisent sont la toile de fond sur laquelle vient se greffer la catastrophe nucléaire. Grigori est envoyé sur place afin d’aider les habitants de la région, déplacés manu-militari par bus entiers dans la région de Minsk. Là, il découvre que rien n’est fait pour que ces gens soient décontaminés, sans parler du peu de cas qui est fait des « nettoyeurs » qui sont envoyés au plus près du réacteur sans aucune protection digne de ce nom et qui sont sacrifiés volontairement.

Plus tard, il devra soigner les enfants nés avec de très graves malformations.

Ce roman est bouleversant car il témoigne des mensonges, des manipulations de l’Etat russe ( je le soupçonne d’avoir soufflé aux autorités françaises de dire que le nuage s’était arrêté à la frontière avec l’Allemagne !!), les dérives d’un état autoritaire sur sa population, des non-sens et des absurdités d’une telle administration. Sans oublier la peur au quotidien : quiconque ose parler ou dénoncer en subit immédiatement les conséquences. J’ai visité le musée du communisme à Prague qui reconstitue la vie du temps soviétique : c’était tellement flippant que je me rappelle en avoir fait des cauchemars la nuit suivante.

Ce très beau roman se lit d’une traite et s’achève 20 ans plus tard juste après la dissolution de l’URSS.

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