Toute la lumière que nous ne pouvons voir
Anthony Doerr

traduit de l'anglais par Valérie Malfoy
Le Livre de Poche
litt.generale
avril 2015
704 p.  8,90 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

De l’Idaho à Saint-Malo

L’histoire a tout du conte de fées. Un jeune écrivain américain, auteur de deux romans seulement, est invité il y a quelques années au festival Etonnants Voyageurs à Saint -Malo . Il y découvre la cité, ses remparts et son histoire. En août 1944, la ville est la dernière citadelle au bout du continent, l’ultime point fort sur la côte bretonne pilonnée sans relâche par les bombardiers américains. Anthony Doerr imagine tout de suite un récit où la radio, cet ancêtre d’Internet, outil d’information, de résistance mais aussi de propagande, tiendrait un rôle capital. Rentré chez lui dans l’Idaho, Doerr se met au travail. Et à la publication de son roman de 610 pages, « Toute la lumière que nous ne pouvons voir». Le succès est au rendez-vous. Le livre reste en effet 48 semaines sur la liste des meilleures ventes, 1, 5 million d ‘exemplaires sont vendus, 40 contrats d’adaptation signés, un film se prépare, et aujourd’hui le prix Pulitzer ! Pourquoi un tel engouement, rarement rencontré pour un roman historique ? Anthony Doerr nous raconte deux destins croisés. Celui de Marie-Laure, jeune aveugle parisienne qui fuit Paris pendant l’exode pour se réfugier à Saint-Malo chez un grand-oncle. Et de Werner, orphelin allemand aux cheveux blancs qui s’amuse avec tous les postes de radio et parvient à capter les missions en français. Remarqué, ce génie des transmissions électro- magnétiques entre dans la Wehrmacht pour traquer les partisans qui émettent . Ces deux adolescents se croiseront dans la cité corsaire pilonnée par les bombes. Entre les deux « ennemis malgré eux », otages chacun des ténèbres de l’Histoire, des liens d’une grande sensibilité et d’une beauté surprenante vont se créer. Les pages sur le monde intérieur de Marie-Laure, prisonnière de son abri, font penser au magnifique texte de Jérôme Garcin, « Le voyant », consacré à l’écrivain aveugle Jacques Lusseyran . Marie -Laure lit Jules Verne en braille et s’essaie à la résistance. Werner, lui, va découvrir la violence et l’horreur nazie.

Le coup de maitre de l’écrivain ? Réussir à éviter tout cliché, toute situation convenue. Des chapitres ultra-courts consacrés à nos héros nous font tourner très vite les pages de ce roman historique qui se lit comme un thriller. Même les apartés, très nombreux, sur les diamants, les mollusques dont la jeune fille est friande ou un club insolite de vieilles dames résistantes, sont captivants grâce à une langue riche et imagée. Peut être devenons-nous nous aussi aveugles puisque dans ce récit nos autres sens sont mis à contribution. On ressent physiquement l’angoisse de l’exode, la brutalité des combats dans la ville martyre, la joie de la Libération, par la grâce d’une écriture toujours en mouvement . De l’Idaho à Saint Malo, un beau parcours pour ce livre évènement qui devrait accompagner plus d’un vacancier cet été.

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