Tram 83
Fiston MWANZA MUJILA

Le Livre de Poche
mars 2016
264 p.  7,40 €
 
 
 
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Lu dans le cadre du Prix des Lecteurs du Livre de Poche 2016, ce livre attendait sagement son tour dans ma bibliothèque depuis mars 2015. Primé à de nombreuses reprises, c’est un volcan, une énergie folle qui nous est transmise. Fiston Mwanza Mujila est né en République Démocratique du Congo en 1981, il vit à Graz en Autriche. Auteur de nouvelles et théâtre, il nous propose ici son premier roman ayant pour cadre un pays imaginaire qui pourrait être différentes régions de l’Afrique. La vie se passe au Tram 83, un bar, un bordel même qui est le lieu de rencontres de la société. La société nous dit Fiston Mwanza Mujila se répartit en trois catégories : 1. Les fonctionnaires mal payés. 2. Les somnambules c’est à dire : les étudiants grévistes, les creuseurs, les canetons (les filles de moins de 16 ans), les touristes à but lucratif, les amis et les collabos de la dissidence. 3. Les filles-mères ( les femmes de 20 à 40 ans même si elles ne sont pas mères), les vendeurs d’organes, les enfants-soldats, les apôtres, les serveuses, les aides-serveuses de nuit, les musiciens de l’ex Zaïre, les bandits et les cambrioleurs , cette catégorie qui dort le jour. Je commence fort avec ces énumérations mais ces longues phrases remplies de suite de mots donnent le ton et le rythme de la vie de cette Ville-Pays. Le flot de cette prose c’est la vie. Tout ce monde se retrouve la nuit au Tram 83- lieu imaginaire qui pourrait être n’importe où – pour y boire, y manger du chien, y trouver du sexe dans les toilettes mixtes, écouter de la musique. Requiem , le Négus si vous préférez est un ancien militaire devenu le roi de l’arnaque, son quartier général est le Tram 83. Il retrouve dans la gare son ami d’enfance Lucien, un intellectuel, historien devenu écrivain qui revient de l’arrière-pays où il a eu des ennuis car on ne dit pas et on n’écrit pas ce que l’on veut. Il refuse d’écrire pour plaire et obtenir des passe-droits. C’est l’histoire de la création littéraire, de la place qui lui est accordée mais aussi celle des chantages, de la corruption, du pillage des richesses du pays. C’est surtout un livre d’ambiance. Fiston Mwanza Mujila excelle dans un style endiablé, un rythme étourdissant. La langue fuse parfois très vite, de longues séries d’énumérations qui à mon sens sont nécessaires pour faire vivre les mots, la langue. Pour ensuite s’en approprier oralement. On ressent la fureur de vivre la vie effrénée. Il observe le quotidien et parvient à nous décrire tout à 360 degrés simultanément. Ce qui se passe autour de lui, les filles qui proposent leur service – t’as pas l’heure ? – la conversation en cours, celle de la table voisine, ce qui se passe sur la scène, dans la rue. C’est entêtant, c’est la vie… on imagine, on ressent le tumulte permanent, les couleurs, le train fou de la vie. Une prouesse, une performance, vraiment une écriture novatrice, un hymne à la liberté. C’est souvent cru, direct mais jamais vulgaire, la phrase « Vous avez l’heure ? » nous permet d’imaginer. C’est un désordre organisé dans l’écriture hors du commun, indispensable pour nous faire vivre la vie de ce saloon africain : le tram 83. Une belle découverte que j’avais trop tardé à découvrir.
Ma note : 8.5/10 Les jolies phrases Les hommes et les vents ont ceci de commun : ils n’ont pas les pieds sur terre. Ce pays est par terre, tout est à reconstruire : les routes, les écoles, les hôpitaux, la gare et même l’homme. Nous avons besoin des médecins, des mécaniciens, des charpentiers, des éboueurs mais surtout pas des rêveurs ! C’est par le chemin de la littérature que je peux rétablir la vérité. Je me propose de reconstituer la mémoire d’un pays n’existant que sur papier. Au commencement la pierre, et la pierre, les chemins de fer et les chemins de fer, l’arrivée des hommes aux multiples nationalités, parlant le même patois : le sexe-coltan, ivres de sexe et d’argent facile, pervers, aventuriers de naissance, aptes à essayer n’importe quel tuyau à condition que ça paie, que ça rapporte de l’argent et du sexe, et encore de l’argent ! Vous allez accepter de crever de faim alors que sous vos pieds reposent tranquillement de l’argent, du cuivre, du baryum, de l’étain, du charbon ? Tu ne fumes pas, tu ne baises pas, tu ne bouffes pas de chien, tu ne descends pas au Polygone, tu ne livres pas de marchandise, tu fuis les filles, tu ne prends pas de liqueur, je me demande ce que tu fais dans la vie ! C’est vous les intellectuels qui avez flingué ce pays. Jusqu’où va l’imaginaire d’un écrivain qui part de faits réels pour fabriquer un univers où se côtoient le faux et le vrai ? De quel droit triche-t-on avec la mémoire ? Quelle crédibilité à mettre au diapason ces personnages parfois éloignés les uns des autres ? C’est grâce à moi qu’il peut ouvrir sa bouche, c’était un mort vivant quand il est arrivé au Tram, un revenant, un zombie mais ingrat comme il est, il me paie en monnaie de singe. Si j’escroque ce type, c’est parce que les minerais nous appartiennent, ce sont nos minerais.

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