Un bon fils
Pascal Bruckner

Le Livre de Poche
avril 2014
216 p.  6,60 €
ebook avec DRM 6,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
on n'aurait pas dû

Un bon fils, certes, mais un bon livre ?

C’est sur une scène aussi étrange que violente que débute « Un bon fils ». Pascal Bruckner petit garçon fait sa prière près de son lit et demande à Dieu humblement, dévotement, solennellement, de provoquer la mort de son père. Qu’importe l’accident, pourvu que son géniteur se fasse la malle et quitte le monde des vivants.

La supplique enfantine – non exaucée – interroge et pique le lecteur. L’intéresse, le titille. Lui donne envie de continuer ce récit autobiographique. C’est peut être ce premier tableau, cette promesse trop belle faite par l’auteur, qui rend l’ouvrage décevant. On s’attend à un roman cruel, délicieusement ambigu, en tension permanente. On doit se contenter de quelques anecdotes nombrilistes d’un jeune intellectuel qui cherche sa voie et tente d’échapper à l’influence de son père. Pas grande chose à se mettre sous la dent. Si le récit de ses jeunes années en Suisse, patrie qui sauve l’auteur d’une enfance aux côtés du paternel, est assez savoureux, la période estudiantine et son amitié avec Finkielkraut nous font gémir d’ennui. La relation père-fils, quant à elle, se résume à une accumulation d’historiettes reliées entre elles assez artificiellement, souvent axées sur les ressentis très personnels de l’écrivain, à tel point que le lecteur en vient à se demander si « Un bon fils » n’est pas juste le prétexte trouvé par l’auteur pour parler de lui.

Il faut reconnaître que la moelle du livre est intéressante avec les paradoxes qu’elle soulève. La vision qu’a le fils de ce père raciste, sympathisant nazi, misogyne et violent est lucide et franche. L’auteur n’épargne aucun défaut à son père. Pourtant, Pascal Bruckner ne se résoudra jamais à couper les ponts. Il l’accompagnera jusqu’au bout du tunnel, un peu plus tard qu’il ne l’avait souhaité étant jeune, mais fidèle au poste, en fils attentionné, en bon fils. Pourquoi tant de bienveillance pour celui qui, par ses gestes brutaux et ses paroles dures ont tué sa mère à petit feu ? Pourquoi un homme si profondément mauvais a-t-il pu engendrer un fils comme lui: ouvert, aimant, respectueux? L’auteur n’apporte pas vraiment de réponse à ces questions. Il explique qu’il s’est construit en suivant l’exact opposé du chemin que lui indiquait son père et que pour cela, il lui est reconnaissant. C’est un peu court.  
Pour ce qui est du bon fils pas de doute. Pour ce qui est du bon livre, c’est une autre histoire.

 

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu

Un livre qui réconforte

Il en va des livres comme des gens. On en rencontre certains au bon moment, et ils nous font soit vibrer, soit grincer des dents. Ils nous enthousiasment, ou nous ennuient. Pourquoi ? Qui peut le dire, c’est tellement personnel cette affaire-là ! On peut donc comprendre le rejet acerbe exprimé par la chronique publiée sur le livre de Pascal Bruckner, et souhaiter donner à son sujet un avis totalement différent.
Ce récit d’une relation douloureuse entre un père et son fils – l’auteur – est passionnant à de nombreux égards.
Tout d’abord, il est rédigé dans une langue qui rend palpables et compréhensibles les situations psychologiques les plus difficiles qui soient : L’impuissance de l’enfant déchiré entre ses deux parents. La loyauté familiale et ses rets inextricables. Un sens fondamental du devoir filial, qui fait que l’on ne peut abandonner totalement un parent, aussi détestable soit-il. Le processus de maturation psychologique et affective. Et tant d’autres aspects que Pascal Bruckner aborde, dans un style qui a tout à la fois la délicatesse et la précision d’un bistouri bien affuté.
Ensuite, ce livre peut aussi parler à ceux et celles qui n’ont peut-être jamais rien lu de lui avant. Parce que (quoiqu’il en dise) Pascal Bruckner écrit comme un homme blessé, pas comme un savant, ni comme un maître à penser. Certes, il énonce des sentences, mais elles sont si touchantes que loin de vous ennuyer, elles vous émeuvent.
Ce qu’il dit de sa rencontre avec les livres, (« qui l’ont sauvé »), ce qu’il raconte de son professeur de philosophie d’hypokhâgne, dont il découvre le médiocre milieu domestique, et la soumission, par le biais de ses patins de feutre ; ce qu’il déclare de sa découverte du monde étranger libérateur (« J’élevai la culture anglo-saxonne au rang de seconde patrie. Je n’ai pas changé depuis ») ; de la mémoire (« … un tamis singulier … Il faut oublier pour survivre, déblayer les souvenirs qui empêchent de progresser »), de ses solutions personnelles (« Comment sortir de son enfance ? Par la révolte et la fuite, mais surtout par l’attraction en multipliant les passions qui vous jettent dans le monde »)… tout cela fait du bien à celui ou celle qui ressent la même chose.
Ce ne sont-là que des exemples isolés. Ils ne rendent pas la construction de ce livre qui part de l’enfance, en effet, pour en arriver à la mort du père, mais surtout aux questions fondamentales de l’identité, du mystère des origines, et du pourquoi de la résilience. Ceux et celles qui, un jour, y ont été confrontés comprendront sans doute bien mieux que d’autres le pourquoi de ce livre, et sa force vive. Ils le prendront comme un coup au cœur réconfortant et salvateur.

partagez cette critique
partage par email