Viva
Patrick Deville

Points
août 2014
235 p.  7,30 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Rouge Mexique

Lorsque Léon Trotsky débarque au Mexique en 1937, il ne sait pas qu’un futur écrivain de renom y séjourne aussi : Malcom Lowry en effet est là, qui tente d’écrire « Au-dessous du volcan ». Patrick Deville lui, le sait. Et ce hasard de l’Histoire, ce télescopage fortuit de deux destins si dissemblables le fascine au point de réunir documents, témoignages, de se rendre sur les lieux et en faire un livre. « Viva » est une tentative de reconstitution de ces deux existences que tout sépare, sauf ce séjour mexicain.
D’un côté Trotsky, qui a consacré sa vie à la révolution mais que Staline a banni. Depuis, il erre en proscrit sur la planète, pour finir donc par se retrouver dans ce Mexique où il est accueilli par deux artistes, Frida Kahlo et Diego Rivera. De l’autre Malcom Lowry, fils de famille qui vit aux crochets de son père et semble rater consciencieusement tout ce qu’il entreprend, boit plus que de raison et n’a de cesse de se retirer des affaires du monde pour, dans la douleur, écrire son chef d’œuvre qu’il mettra dix ans à achever. Celui qui agit et celui qui n’agit pas.
Alors Patrick Deville raconte. Et raconter, il sait faire. On se souvient de « Peste et choléra », son précédent roman qui lui a valu le prix Femina en 2012, mais on se souvient aussi de » Kampuchea », ou de « Pura vida » sorti il y a exactement dix ans. Cela fait longtemps que Patrick Deville s’attache ainsi à des destins, reconstruit, compulse, cherche, invente, et surtout nous embarque. Personne mieux que lui n’aurait pu nous faire revivre ces lendemains de la révolution zapatiste et ce Mexique bouillonnant où intellectuels, romanciers et artistes se retrouvent, tels André Breton et Antonin Artaud.
Ici, Patrick Deville conserve intact son sens de la narration, sa créativité, son humour et sa façon très particulière de nous transporter au bout du monde sans donner dans l’exotisme. Et si le lecteur dans ce nouvel opus peut avoir, au départ, l’impression d’être un peu perdu et même souffrir d’un léger tournis tant les noms, les destins et les anecdotes s’accumulent, il aura, qu’il le sache, le plaisir immense de prendre le train avec Trotsky et Frida Kahlo : « Au hasard des villages traversés, des rues poussiéreuses, des maisons de bois, épiceries, misceláneas, une rivière, des barques emplies de marchandises, des troupeaux de vaches. C’est un huis clos de quelques heures dans le train aux boiseries vernies, chacu perdu dans ses pensées ».
Parce que, plus encore que l’inventivité et la prouesse, ce qu’on aime chez cet auteur c’est la douce lumière mélancolique de ses livres et l’éternel questionnement qui court sous sa plume. Au fond, qu’avons-nous fait nous-mêmes de notre vie ? Et pourquoi tout, êtres et choses, pourquoi tout doit-il toujours disparaître ?

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