Voici venir les rêveurs
Imbolo MBUE

traduit de l'anglais par Sarah Tardy
Pocket
roman
août 2016
512 p.  8,40 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Rêve ou cauchemar américain ?

Neni et Jende ont quitté la ville de Limbé au Cameroun pour Harlem : ici, à Manhattan, ils veulent commencer une nouvelle vie, loin des difficultés africaines, loin surtout de ce bébé qu’ils ont perdu et de leurs familles envahissantes à force de compassion après le drame. Mais s’installer en Amérique avec leur fils Liomi coûte cher, très cher. Et lorsque Jende obtient le poste de chauffeur de Clark Edwards, un riche banquier de Lehmann Brothers, la vie semble de nouveau sourire au jeune couple. D’ailleurs, Neni qui étudie la chimie à New York, est bientôt enceinte, comme pour les enraciner davantage dans une nouvelle vie qu’ils ont tant espérée. Les papiers de résidents se font attendre mais nous sommes ici en Amérique, le pays ou tout est possible, n’est ce pas ? Tout devrait s’arranger grâce à un avocat nigérian qui leur promet de leur obtenir ces fameux papiers, hantise des immigrés. Bientôt des liens se tissent entre le couple modeste et la famille new- yorkaise : il y a Mighty, le jeune fils, si attachant ; Vince le grand, qui ne veut surtout pas être avocat comme ses parents le souhaitent ; Cindy la mère, gentille oisive qui s’ennuie dans sa vie dorée et Clark, réservé mais plutôt bon patron. Hélas, la crise des sub-primes se profile et la famille Edwards, qui connaît quelques légers problèmes d’infidélité, d’addictions et de mensonges variés, va exploser en vol , l’onde de choc touchant évidemment le couple camerounais . Jende et Neni arriveront-ils à survivre aux soubresauts de l’American dream ? Neni va alors commettre un acte qui fera peut-être basculer leur vie … Ce premier roman d’une jeune Camerounaise avait provoqué l’évènement à la foire de Francfort il y a deux ans. A juste titre car les relations entre les deux familles, si différentes à première vue, et les rêves de l’immigration sont parfaitement décrits et donnent un texte d’une ampleur, d’une puissance, d’une virtuosité chaleureuses. On songe à Toni Morrison qui a si bien décrit les douleurs de l’exil, la fierté et les difficultés de ceux qui s’installent ailleurs, le tiraillement entre deux cultures, celle de l’Afrique et   celle de la nouvelle terre promise qu’est l’Amérique, mais aussi au Bûcher des vanités de Tom Wolfe pour la satire de l’establishment de Manhattan. Le choc de la rentrée.

 

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Mirage…

J’ai lu goulûment les 420 pages de ce livre sans pouvoir m’arrêter, avide et presque inquiète de savoir ce qui allait arriver à ces personnages terriblement attachants, pleins d’humanité, fous d’amour pour l’Amérique et prêts à tout pour y rester. L’histoire est toute simple, elle est celle de beaucoup… Jende Jonga, originaire de Limbé, au Cameroun, où il travaillait pour le conseil municipal, vit depuis peu à New-York. Il multiplie les petits boulots, fait la plonge dans les restaurants de Manhattan, vit dans les sous-sols d’un foyer, mange ce qu’il trouve. Et pourtant, il ne veut pas repartir : il en est bien persuadé, son avenir est ici, sa vie aussi. C’est en Amérique qu’il pourra s’accomplir, devenir un homme, s’enrichir. Il y croit dur, a une volonté de fer et il fera tout pour que ça marche. Très vite, il fait venir Neni, sa femme et Liomi son fils. Et l’aventure à trois commence… Leur rêve ? La Green Card, espèce de « sésame ouvre-toi », qui leur permettrait enfin de dormir en paix et de rêver d’un avenir meilleur. En attendant, il faut trouver un avocat, payer, passer et repasser au bureau de l’Immigration afin de régulariser leur situation. Leur état d’anxiété est indescriptible. Heureusement, Jende va finir par décrocher un travail digne de ce nom : il va devenir le chauffeur de Clark Edwards, banquier chez Lehman Brothers. Costume, cravate, « oui Monsieur, non Monsieur ». Ponctuel, serviable, affable, discret, intègre, aimant infiniment celui qu’il sert, souffrant de voir son patron inquiet ou anxieux, Jende est une perle et se coule parfaitement dans ce nouveau rôle qu’il souhaite assumer jusqu’à la fin des temps… Sa femme reprend ses études de pharmacie et le petit Liomi s’amuse bien à l’école… Mais, nous sommes en 2007, la crise des subprimes est là et le tremblement de terre est imminent… Pourquoi ai-je aimé ce livre ? Certainement parce que les personnages sont, comme je le disais au début, extrêmement attachants : je vous assure, on tremble littéralement pour eux. Leur malaise est là, palpable, insondable. Leur volonté de devenir citoyens américains si essentielle, si existentielle que l’on se dit que c’est, pour eux, une question de vie ou de mort. Ce qui est extrêmement touchant en même temps, c’est leur immense naïveté et leur optimisme infini : ils y croient, ils le veulent, ils ont la foi et l’on espère de tout cœur pour eux qu’ils y arriveront… En attendant, ils vivent dans leur petit deux pièces de Harlem plein de cafards… J’ai beaucoup aimé aussi, dans cette œuvre, les échanges, les dialogues entre Clark, le riche cadre et Jende, le pauvre chauffeur : l’un a tout, l’autre n’a rien et pourtant va naître entre eux une véritable fraternité qui est belle à voir et tant pis si ça fait mélo, j’assume ! Une scène finale entre eux m’a vraiment beaucoup touchée. Si j’ai pleuré ? Je ne vous le dirai pas, vous vous moqueriez… On découvre aussi que sur cette terre d’Amérique, l’intégration n’est pas si simple, loin de là ! Et puis, au fond, posons-nous les vraies questions, comme disent les politiques : quelles sont les valeurs proposées par ce pays de rêves ? Les gens y sont-ils plus heureux qu’ailleurs ? La vie que mène Clark laisse rêveur… Bien sûr, il a de l’argent… bien sûr, sa femme peut s’acheter des vêtements Gucci ou Valentino, bien sûr la vue qu’ils ont sur Manhattan de leur appartement est à couper le souffle mais… sont-ils heureux ? Pas sûr ! Vraiment, ne boudez pas votre plaisir, vous allez vous régaler, ce serait vraiment dommage de s’en priver !

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coup de coeur

Désillusions.

C’est un premier roman. Une belle découverte. Imbolo Mbue est camerounaise, elle nous parle de Limbé, de son pays, de sa culture africaine et du rêve américain. Jende Jonga est arrivé à New York il y a trois ans. Il est venu pour fuir la pauvreté de son pays et avoir de quoi épouser dignement sa promise Neni. Tout le monde est pauvre à Limbé et l’horizon est bouché, difficile de s’élever dans cette société et Jendé veut donner le meilleur à sa famille, une autre vie. Son épouse Neni et leur fils Liomi viennent enfin le rejoindre. Neni a un visa d’étudiante, elle veut devenir pharmacienne, c’est son rêve car seul l’éducation leur permettra de sortir de ce monde. Jende vient grâce à l’aide de son cousin de trouver une place de chauffeur. Il travaillera pour Clark Edwards et sa famille, un directeur de Lehman Brothers. Il gagnera plus d’argent et espère obtenir sa green card. Tout semble donc de bonne augure , mais la réalité est toute autre. Ils vivent à Harlem dans un tout petit appartement, une chambre grouillant de cafards. Cela ne décourage pas Jende et Neni car ici en Amérique tout peut changer, c’est bien un noir qui est devenu Président, non… tous les espoirs sont permis. Ils essaient de mettre de l’argent de côté, bien qu’au pays, sa famille le sollicite sans cesse. Et arrivera la crise financière avec la faillite de Lehman Brothers, tout basculera alors… J’ai aimé découvrir la famille de Jendé, des personnages attachants, bien décrits. L’auteur nous fait partager les us et coutumes du Cameroun, sa gastronomie bien présente. La nostalgie du pays, ses racines, un pays qui est idéalisé et décrit de façon magnifique. On partage aussi la vision des immigrés de l’Amérique. Neni est absolument prête à tout dans l’espoir de donner une vie meilleure à ses enfants et de rester sur le sol américain. Ce sont de courts chapitres, qui mettent en parallèle la fâmille de Jendé et celle de Clark ; la famille américaine, riche, vivant dans l’opulence et manquant sans doute de l’essentiel : les valeurs familiales, le bonheur. L’écriture est dynamique, imagée, parfumée, gourmande. On s’attardera aussi sur les conséquences de la crise financière dans le quotidien des américains. J’ai pris énormément de plaisir à la lecture de ce premier roman que je vous conseille vivement. Un régal. Une plume à suivre. Coup de coeur. Les jolies phrases Dans mon pays, pour devenir quelqu’un, il faut déjà être quelqu’un quand vous naissez. Si vous ne venez pas d’une famille riche, ce n’est pas la peine d’essayer. Si vous ne venez pas d’une famille qui a un nom, ce n’est pas la peine d’essayer. Regardez Obama, monsieur. Qui est sa mère ? Qui est son père ? Ce ne sont pas des gens importants du gouvernement. Je crois que tout est possible quand on est américain. La police sert à protéger les Blancs, mon frère. Peut-être aussi les femmes noires et les enfants noirs, mais pas les hommes noirs. Jamais les hommes noirs. Les hommes noirs et la police sont comme l’huile de palme et l’eau. Je te l’ai déjà dit et je te le dirai toujours : l’école, il n’y a que ça pour les gens comme nous. Si nous ne réussissons pas à l’école, nous n’avons aucune chance de nous en sortir dans ce monde. Les bonnes choses n’arrivent qu’à ceux qui honorent la bonté des autres. Pourquoi cinq chambres alors qu’il n’y avait que deux enfants ? N’avaient-ils pas compris que qu’elle que soit sa fortune, on ne peut dormir que dans un lit à la fois ? Être dans la même classe que des Blancs, travailler pour eux, leur sourire dans le bus était une chose ; mais rire et bavarder avec eux, faire attention à bien prononcer chaque mot pour ne pas s’entendre dire qu’ils avaient du mal à comprendre son accent en était une tout autre. Être pauvre en Afrique, cela n’a rien d’exceptionnel. Tout le monde ou presque est pauvre là-bas. La honte d’être pauvre n’est pas la même là-bas. Pourquoi les gens qui travaillent dur devraient-ils se sentir coupables d’avoir de l’argent simplement parce que d’autres n’en ont pas autant ? On ne fait pas que ce qui nous rend heureux dans la vie. Il faut penser aux autres, aussi. J’ai peur aussi, Neni. Tu crois que je n’ai pas peur ? Mais est-ce que la peur a déjà fait quelque chose pour quelqu’un ? C’est la peur qui nous tue, Leah, dit Jende. Parfois, il nous arrive de mauvaises choses, mais la peur est encore pire. C’est la leçon que j’ai apprise de cette vie. C’est la peur qui nous tue. Elle décide de se battre pour ses enfants et pour elle-même, car quiconque partout loin de chez lui ne pouvait revenir sans avoir amassé une fortune ou réalisé un rêve. Le mariage, reprit Fatou, on veut toutes ça. Mais une fois que tu l’as, il t’apporte tout ce que tu veux pas. Le problème était l’infinité de chances qu’ils allaient manquer, cet avenir que son propre père avait failli refuser. Elle décida de se battre pour ses enfants et pour elle-même, car quiconque partait loin de chez lui ne pouvait revenir sans avoir amassé une fortune ou réalisé son rêve. Les boulons là qui tiennent ton cerveau en place, dit-il en pointant un doigt sur sa temps, ils se sont desserrés, pas vrai ? Quand on est parent, c’est difficile de ne pas penser tout le temps à son enfant. Tous ces gens qui disent partout qu’il faut accepter le vie telle qu’elle est, je ne sais pas comment ils font. Comme cela est triste de traiter nos amis dans le besoin comme nous traitons nos ennemis. D’oublier que chacun de nous pourrait un jour devoir également chercher un toit.

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