Au nom du bien
Jake Hinkson

traduit de l'anglais par Sophie Aslanides
gallmeister
americana
mai 2019
320 p.  22,60 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Plus noir que noir

La religion a fait de Jake Hinkson quelqu’un de féroce. Là où il a grandi, au nord de l’Arkansas, au pied des monts Ozark, le prêcheur du coin dicte à chacun son agenda et sa conduite, à l’égal du sheriff ou du maire. L’exemple de son propre père, pasteur baptiste, l’a profondément marqué. Depuis, cet écrivain d’apparence discrète et réservée est parti respirer l’air de Chicago. Mais à 44 ans, il reste hanté par ces communautés fondamentalistes où l’homme de Dieu se mêle de morale, de politique et de sexe. Leur atmosphère étouffante lui a déjà inspiré trois livres sans complaisance, virulents même, servis par une maîtrise impeccable des mécanismes du roman noir. Et il a gardé de la colère en réserve. Assez pour en écrire d’autres. Après « L’enfer de Church Street », « L’homme posthume » et « Sans lendemain », son quatrième opus est plus implacable encore. « Au nom du bien » touche à l’intime, à l’éducation, à la famille, aux fondements de la vie en société. Le personnage central se révèle être le méchant de service, que l’auteur introduit au seuil d’une prodigieuse dégringolade. Pasteur honorable, époux et père autoritaire, Richard Weatherford a un jeune amant qui le fait chanter. Cet homme de pouvoir a tout à perdre si ses paroissiens, sa femme et ses cinq enfants découvrent ce qu’il dissimule. Son homosexualité refoulée est son secret le plus explosif mais ce n’est pas le seul. En fait, chez lui, tout est faux. Son épouse n’est pas loin de le percer à jour. Le malaise ricoche sur ce trio infernal et devient vertige à mesure qu’entrent en scène d’autres témoins de la duplicité du pasteur. Dans ce tourbillon n’entre aucune figure du Bien ou de la Justice. Seule la transgression intéresse Jake Hinkson, ce vernis de la foi qui se craquèle, ces digues de la respectabilité qui cèdent. Pas sûr que tous ses compatriotes apprécient. D’autant que cette Amérique profonde qui se ment à elle-même, qui ment à son conjoint, à son associé, à ses enfants, est celle qui s’apprête alors à élire Donald Trump. Ce roman n’est pas seulement très noir, il est aussi résolument subversif.

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