La Ballade des misérables
Anibal Malvar

Traduit par Hélène Serrano
Asphalte Editions
novembre 2014
364 p.  23 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Mauvaise réputation

Le 7ème festival Toulouse Polars du Sud vient d’attribuer le prix Violeta Negra à Anibal Malvar pour La ballade des misérables, l’occasion de braquer les projecteurs sur ce formidable roman noir où l’auteur espagnol, qui est aussi journaliste, transmue l’histoire d’enfants gitans disparus en une ode populaire écrite au couteau.

Le Poblao, bidonville gitan à quelques encablures du centre de Madrid, est une ville dans la ville, où la décharge à ciel ouvert fait office d’horizon. Plaque tournante de la drogue et de la prostitution, le Poblao est une zone de non-droit avec ses chefs et ses codes. Excepté un fourgon médicalisé qui approvisionne les junkies en méthadone, la municipalité et la police ont renoncé depuis longtemps à s’y aventurer, jusqu’à ce qu’une fillette disparaisse. D’ordinaire, cette affaire n’aurait suscité aucun émoi, mais il s’agit là de la petite-fille du patriarche en personne, qui se venge en tuant un innocent par erreur. Une enquête est alors ouverte, menée par l’inspecteur O’Hara, tandis que depuis sa prison, Perro le patriarche, qui se défie des gadjé, charge Tirao, l’un des siens, de retrouver le coupable : deux investigations parallèles qui finiront par se répondre et se rejoindre. Cet effet de résonance colle parfaitement au dispositif narratif original, les chapitres alternant les points de vue à la manière d’un kaléidoscope surprenant, qui s’étend à l’aurore, à la ville, à un billet de banque ou à un perroquet, autant de témoins qui disent à tour de rôle un couplet de l’action, tout en brossant un tableau en clair-obscur du Poblao. On aime les personnages amochés par la vie, le policier cynique et solitaire qui carbure à la coke, la jeune journaliste qui se cogne à l’injustice, ou le gitan inconsolé, au passé encore plus sombre que la nuit sans lune. Des éclats de lumière émanent pourtant de ces âmes qui déambulent dans une ville poreuse, où l’on ne s’étonne pas de voir une vieille gitane à l’opéra ou une petite bourge faire les poubelles, car ici la beauté se maque avec la laideur pour engendrer le sublime et composer une vérité protéiforme. Portée par un art du dialogue populaire et savoureux, l’écriture à la fois crue et poétique nous entraîne dès les premières lignes à la recherche des enfants perdus sans nous lâcher une seule seconde.

Romancero gitan contemporain de la ville et des marges, servi par une traduction remarquable, La ballade des misérables est bien plus qu’un roman policier envoûtant, c’est le portrait fascinant d’une société déchue, désespérante et terriblement humaine. Inoubliable.

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