La route 117
James Anderson

traduit de l'anglais par Clément Baude
Belfond
janvier 2020
352 p.  21 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

L’Amérique d’en-bas

« La Route 117 » sur laquelle nous entraîne James Anderson est un peu le bout du monde. Un tronçon à deux voies, sur quelques dizaines de kilomètres, dans le centre désertique de l’Utah, un des états américains les moins peuplés. L’auteur, qui a été un peu camionneur avant de plonger dans l’édition et l’écriture, nous installe dans le semi-remorque de Ben Jones, la quarantaine, du sang indien et juif, un casier et un cœur énorme. De sa cabine, il a appris à lire le peu de vie qui anime cette bande de bitume rectiligne, ses rituels et ses dangers. Un axe qu’empruntent seulement les locaux, les visiteurs égarés ou ceux qui fuient quelque chose (voir aussi « Desert Home », sorti en 2017). Ce jour-là, ses repères sont un peu brouillés. Il a son habituel chargement de bidons d’eau et de colis de toute sorte, et puis trois passagers qu’on lui a collés sur les bras. Le bébé de sa très jeune voisine, mère célibataire, mais aussi un enfant de cinq ou six ans, mutique et méfiant, flanqué d’un très gros chien un peu menaçant, tous deux abandonnés dans une station-service. La routine est cassée, et les incidents s’enchaînent. Un violent accrochage avec un camion-fantôme. Une rencontre tendue avec un jeune type armé. Et puis ce vieil illuminé qu’il voit souvent arpenter la route en traînant une immense croix, et qu’il découvre dans le fossé, salement amoché. Des personnes à sauver, aider, traquer, une foule d’urgences qui vient perturber les allers et retour de Ben sur la 117. Au milieu de ce décor très cinématographique, sur cette route qui file comme allégorie de la vie, James Anderson installe une tension toute en retenue, sans coups d’éclat ni coups de théâtre. Sur un rythme hypnotique, cerné d’adultes sans but et d’enfants sans parents, le routier mélancolique et bagarreur tente de garder le contrôle de son convoi et de ses humeurs. C’est lui, le sang mêlé, qui fait le lien entre tous les paumés venus se perdre sur ce coin de désert sans charme ni ressources. Autour de cette belle pièce d’humanité, l’auteur bâtit un portrait touchant d’une autre Amérique, celle qui n’a rien et qu’on n’entend pas.

 

partagez cette critique
partage par email