La tempête qui vient
James Ellroy

traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias et Sophie Aslanides
Rivages
novembre 2019
697 p.  24,50 €
ebook avec DRM 17,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
on n'aurait pas dû

Ellroy se serait-il égaré ?

J’ai lu la première partie de « La Tempête qui vient », le nouveau roman de James Ellroy, tome 2 de son deuxième quatuor de Los Angeles. Je ne suis pas allé au-delà de ces 164 premières pages mais je peux partager les impressions qu’elles m’ont laissées. C’est à ce moment-là du livre que j’ai admis n’y prendre aucun plaisir, n’avoir aucune envie d’affronter les 534 pages restantes et être prêt à chercher une autre lecture plus accueillante. Autant « Perfidia » (2015) m’avait ébloui de bout en bout, parfaite synthèse des obsessions et des ambitions du « Chien Fou », autant cette suite (du moins le début) m’a semblé froide et brumeuse, répétitive et hermétique.

On est quelques semaines après l’attaque de Pearl Harbor, fin 1941-début 1942. La police californienne enquête sur des meurtres présents ou passés, tente de contrer des tentatives d’infiltration japonaise et nazie, réprime durement les Asiatiques vivant en Californie. Le tout sur fond de scandales sexuels. Le tourbillon des personnages, réels ou imaginaires –l’index glissé après le sixième et dernier chapitre en répertorie 89 – apparaît vite aussi complexe que leurs interactions. Certains ont resurgi de romans antérieurs avec un bagage que l’on a forcément oublié. Et tous passent si vite que l’on n’a le temps de s’attacher à aucun. On serait prêt à suivre plus volontiers le superflic et parfait salaud Dudley Smith, à voir en lui le symbole d’une époque et de ses mœurs. Mais rien ne le distingue vraiment de cette galerie de monstres, tous également corrompus, cyniques et racistes. Quelle histoire James Ellroy nous raconte-t-il ? Un peu celle de « Perfidia », vue sous un autre angle. Avec un zeste de « LA Confidential », peut-être. Et des réminiscences de trois ou quatre autres de ses romans. Toujours la même histoire donc ? Dans ce flot de micro-détails et ce style ultra-syncopé, quasi hypnotique, lui seul peut s’y retrouver. C’est la scène d’ouverture étirée, et en accéléré, d’un film qui ne démarre jamais. Mais on ne se hasardera pas à conclure de façon définitive qu’il n’a plus rien à dire. Il reste deux tomes à venir et on est prêt à parier qu’il en a écrit la trame dans sa tête, allongé dans l’obscurité, comme il aime à le faire avant de pondre ses synopsis de plusieurs centaines de pages. Son projet, il nous l’avait confié, est de raconter une période dégueulasse de l’histoire contemporaine des Etats-Unis, où la police a plus spécialement joué un rôle politique et n’a reculé devant aucune salissure. Ces années quarante, il les sent, elles lui appartiennent. Mais ici, le fil conducteur semble lui avoir échappé, comme si les louanges saluant « Perfidia » l’avaient égaré et qu’il s’était trop regardé écrire, pressé de se montrer génial à tout prix. Sans surprise, les réactions des lecteurs américains se révèlent très mitigées sur les sites spécialisés et les réseaux sociaux. Quelques idolâtres, beaucoup de déçus. James Ellroy les entendra-t-il avant d’enchaîner ? Si oui, à quelles sirènes sera-t-il sensible ? Réponse dans environ quatre ans.

 

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