L'agent du chaos
Giancarlo de Cataldo

traduit de l'italien par Serge Quadruppani
metailie
bb italienne
mars 2019
313 p.  21 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Une brève histoire du chaos

L’ambition était folle, mais bien réelle. Dans les années 1950 à 1970, sous le nom de code « Projet MK-Ultra », une branche obscure de la CIA développa un programme ultra-secret, illégal, visant à manipuler massivement les esprits. Au cœur de la Guerre froide, puis des vagues de contestation hippie et étudiante, les maîtres-espions américains comptaient sur le pouvoir des drogues pour saper les idées contrariant leurs intérêts. Formidable matière livresque.

Entre fiction et document, espionnage et politique

Mais quelle histoire tisser sur cette trame pour en exprimer la dangereuse mégalomanie ? Comment jouer d’un scénario aussi improbable, au puissant parfum de théorie du complot ? Giancarlo De Cataldo a opté pour la pente la plus raide, sorte de face nord escarpée d’une « brève histoire du chaos ». Habituel chroniqueur de l’ordre imbécile qui régit les mafias, le magistrat-écrivain romain est sorti de sa zone de confort. Avec « L’agent du chaos », l’auteur de « Romanzo Criminale » et de « Suburra » s’aventure dans un espace littéraire peu fréquenté, entre réalité et fiction, politique-fiction et espionnage, document romancé et roman à clefs.
Giancarlo De Cataldo s’amuse

Son livre entremêle deux récits, l’un au présent et l’autre au passé, deux face-à-face qui vont bientôt s’éclairer mutuellement. De nos jours, un narrateur-écrivain italien rencontre un avocat américain qui lui propose un marché. De repas fins en cuites d’esthètes, l’autre lui agite sous le nez l’idée d’une publication-choc : une biographie de son client, agent d’influence surdoué, qu’on infiltra un demi-siècle plus tôt chez les beatniks, gauchistes et autres rebelles pour les gaver d’hallucinogènes. Le parcours de ce Zadig de la défonce est l’autre récit qui, en parallèle, charpente ce roman. Dès les années 1960, le petit voyou new yorkais est pris en main par un médecin visionnaire, transfuge du nazisme, convaincu que le chaos est l’ordre naturel du monde, qu’il faut donc l’encourager. Cet apparent camp du bien, supposé porteur de liberté, de rêve et de fantaisie, sert en fait la pire des « realpolitik », qui voit dans les drogues un mal inévitable, voire nécessaire. Ces chapitres-flashbacks sont d’emblée jouissifs, tant l’espion Jay Dark s’éclate dans son rôle d’agitateur, couchant et droguant comme un malade, tant le savant Kirk fascine aussi, séduisant mix des Docteur Frankenstein et Folamour. A côté, les tête-à-tête entre l’écrivain et l’avocat tardent un peu, eux, à prendre de la consistance. Mais c’est pour mieux surprendre plus tard, jusqu’au clin d’œil final. Giancarlo De Cataldo s’amuse et amuse son lecteur en floutant toutes les lignes, celles de l’Histoire, de la morale. On commence par se demander où il va nous mener. Puis on comprend qu’il nous livre une variante des thèmes qui le hante : pouvoir invisible, manipulation de la vérité. Et à ses yeux de magistrat et de démocrate, les barbouzes ne valent pas mieux que les mafieux.

 

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