Les Arpenteurs
Kim Zupan

Traduit par Laura Derajinski
GALLMEISTER
nature writing
décembre 2014
280 p.  23,50 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Racé et ambitieux

Ce livre-là nous arrive comme un pari. Sortir un 31 décembre – un pied en 2014, l’autre en 2015 – le premier roman d’un écrivain étranger inconnu, c’est se donner une petite chance d’en faire le premier coup de coeur de l’année, mais aussi prendre le risque de tomber dans une faille temporelle. « Les Arpenteurs », de l’Américain Kim Zupan, ne mérite pourtant pas de rester dans l’oubli. C’est une vraie pépite, extraite des réserves du Montana, fertile terre littéraire où l’on partage un même amour de la nature et de la belle écriture.

Voici donc un auteur sorti du bois : charpentier durant vingt-cinq ans, après avoir tâté de divers petits boulots. On peut chercher des correspondances entre les deux artisanats : polissage des phrases, précision dans la construction, équilibre d’ensemble… On peut aussi imaginer qu’il a nourri dans un quart de siècle de tâches répétitives une envie irrépressible de surprendre. Car son récit est à l’image de son héros, un jeune policier sensible qui, entre le malentendu de son mariage et la rudesse de ses collègues, ne sait pas vers quoi il avance.

L’adjoint du shérif Val Millimaki, amoureux de ses montagnes, est un marcheur solitaire sachant lire dans un souffle d’air, une inflexion de la lumière ou l’envol d’un oiseau. On ne sait pas vers quoi Kim Zupan nous mène lorsque ce flic, qui n’est lui-même qu’au grand air, se retrouve nuit après nuit enfermé à garder un vieux prisonnier soupçonné d’avoir tué, toute sa vie, comme il respire. Val est la carte maîtresse de son chef pour soutirer des aveux à ce psychopathe mutique.

Entre deux gardes, il traque les égarés, jeune fugueuse ou malade d’Alzheimer, que les hauteurs de Great Falls ne demandent qu’à engloutir. Et puis il tente de comprendre sa femme, à défaut de la reconquérir. Ce va-et-vient donne son rythme au livre, de la lumière à l’obscurité, de la contemplation à l’écoute, du présent de Val ouvert à tous les vents, au passé cadenassé du vieux tueur.

Parfois, quand le policier part à la dérive, Kim Zupan semble s’emballer, pas loin de surécrire, comme si cette nature sauvage submergeait ses pages. Ses envolées restent sous contrôle, comme des courants frais qui chassent les doutes du personnage. Le policier revient alors à sa mission, attendant que le criminel s’ouvre à lui. Ces deux-là ne devraient jamais s’estimer ni se comprendre. Entre marginaux, ils vont s’apprivoiser sans se renier. « Les Arpenteurs » progresse sur un fil. Cernant ce qu’il peut y avoir en commun d’humain chez deux êtres séparés par la frontière du crime. Ce roman noir ambitieux et racé révèle un talent brut dont on attend maintenant la confirmation.

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