Ratlines
Stuart Neville

traduit de l'anglais par Fabienne Duvigneau
Rivages

400 p.
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Irish nazis

Chaque auteur de polar a sa matière première de prédilection. Pour Stuart Neville, Nord-Irlandais de 42 ans, c’est l’Histoire, la grande. Bonne pioche. Situé à la fin du conflit en Irlande du Nord, « Les fantômes de Belfast », premier roman de ce fan de James Ellroy, sorti en 2009, avait été unanimement salué et couronné de plusieurs prix. Pour « Ratlines », quatrième de ses six livres publiés à ce jour, il revient sur une page mal connue du passé irlandais : la neutralité de la République d’Irlande durant la Seconde Guerre mondiale. Avec l’art de soulever les questions qui dérangent.

L’action se situe en 1963, dans une capitale sur le qui-vive avant la visite du président américain, JF Kennedy. Un mystérieux commando exécute d’anciens nazis ou collaborateurs auxquels le gouvernement de Dublin avait accordé l’asile. Soucieux d’éviter les vagues, le ministre de la Justice charge un incorruptible d’identifier la menace. Officier des services de renseignement, Albert Ryan a combattu les nazis au côté des Britanniques. Il se retrouve à rendre des comptes à l’un d’eux, le redoutable Otto Skorzeny, dont les actions de commando ont nourri la propagande hitlérienne et qui craint maintenant pour sa prospérité irlandaise.

Stuart Neville entremêle habilement ce complot fictif à la réalité. Vrai : l’Irlande n’a pas pris part au conflit mondial mais certains de ses citoyens se sont engagés de leur propre chef dans les troupes de Sa Majesté, comme Ryan. Vrai aussi : la neutralité irlandaise s’est prolongée après la guerre, offrant à d’anciens suppôts de Hitler un havre bienvenu sur la route de leur exil sud-américain. Vrai encore : le tueur Otto Skorzeny a bien existé et survécu à la Guerre, marchandant même ses services avec… les Israéliens.

Dans un style direct, sans effets ni postures, l’auteur oppose le caractère quasi chevaleresque de l’espion irlandais au cynisme de son ministre et à la rapacité du dignitaire nazi. Mais à mesure des retournements de situation, les zones d’ombre et les paradoxes de la situation chassent les bons sentiments : dans cette démocratie occidentale bienveillante avec les barbares d’hier, où les nationalistes de l’IRA servent de nervis à d’ex-dignitaires hitlériens, la position noble du patriote Ryan s’avère intenable. Un cas de conscience captivant : « Ratlines » se dévore d’un trait.

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