Une deux trois
Dror Mishani

traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowics
Gallimard
Série Noire
mars 2020
330 p.  19 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Sous le charme des victimes

Cet « Une deux trois », ce n’est pas le début d’une comptine, ni le refrain d’un tube musical. C’est l’égrenage morbide des proies d’un tueur compulsif. Car dans ce roman, on sait très vite qui il est. On assiste aux manœuvres d’approche qui vont mener dans ses filets Orna, puis Emilia, peut-être aussi Ella. L’une est prof, l’autre auxiliaire de vie, la dernière a repris des études sur le tard. On est à Tel Aviv, ville moderne, ouverte, vibrante de vie. Ici, une femme peut avoir son existence en main, son indépendance, sa liberté, sinon se battre pour l’obtenir. Orna, divorcée, a un enfant, un travail, des aspirations. C’est sur un site de rencontre qu’elle croise Guil, avocat tantôt charmeur, tantôt fuyant. Un petit jeu qui, bien sûr, la déstabilise. Sur cet habile prédateur, l’auteur, Dror Mishani, n’a pas besoin de trop en dire. On voit d’où part Orna, ce qui fausse son regard, pourquoi elle a envie, besoin, de croire en cet amant qui tombe à pic. Et comment le piège se referme sur elle. Avant de se refermer sur Emilia, plus vite encore. Plus âgée, moins éduquée, arrivée de Lettonie, très croyante et pratiquante, elle cherche la lumière dans son quotidien fait de sacrifices et d’humiliations. Elle se laisse éblouir et finit aveuglée. Quand vient Ella, draguée à une terrasse de café, la police est en train de s’interroger sur ces deux morts suspectes, que rien ne semble relier. Commence alors un jeu de cache-cache où le temps qui file rapproche du danger cette trentenaire plus solide, plus délurée, plus sûre d’elle. Trois proies, trois personnalités, trois destins. Le romancier israélien ne nous entraîne pas dans un polar procédurier classique, encore moins dans un thriller à rebondissement. Il développe avec soin, avec sensibilité, ces petits riens qui rendent Orna, Emilia et Ella attirantes et vulnérables. Doutes, impulsions, frustrations… chacune a des raisons différentes de baisser la garde. Des faiblesses que leurs proches ont appris à accepter, à aimer, mais qui font d’elles des appâts aux yeux d’un esprit dérangé. On est sous le charme de ces trois portraits tout en nuances, comme sous celui d’une musique douce. Et d’autant plus surpris quand, sans prévenir, le romancier nous surprend d’un coup de cymbale…

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