Fin de siècle
Sébastien Gendron

Gallimard
Série noire
mars 2020
229 p.  19 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
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Une occasion en or de rire de…nous! Croyez-moi, rire de soi est un bien inestimable qui ne figure dans aucun catalogue d’aucune vente aux enchères.

Une femme est sauvagement assassinée dans sa villa de Cap-Martin. Ses voisins n’ont rien entendu. Pour Armel Kœstler, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase clos et luxueux où son mari et elle s’étiolent. Il faut fuir à tout prix.
Mais c’est oublier les mégalodons, ces requins géants revenus de façon inexplicable du fond des âges. Personne ne s’aventure plus sur l’eau. Seule la Méditerranée est protégée par deux herses et les ultra-riches sont concentrés là, entre Gibraltar et Port-Saïd. Sauf que voilà ! L’entreprise publique qui gérait ces grilles a été vendue à un fonds de pension canadien qui en a négligé l’entretien. La grille de Gibraltar vient de céder et personne ne le sait encore.
Sébastien Gendron doit être une sorte de mage ou un prophète. Fin de siècle est un conte apocalyptique dans lequel la nature se rebiffe, à commencer par ces saloperies de mégalodons, requins gigantesques aux multiples rangées de dents mal brossées. Sortir un titre pareil à un moment pareil, moi je dis que cela confine, hé, hé, au génie.
Dans ce roman noir, l’auteur explore différentes facettes de la vanité qui, comme le rire et le savon, est le propre de l’homme. Le culte du moi, la fatuité, vous n’en trouverez pas trace chez les animaux. Un magnifique exemple de fatuité s’appelle Mike Hughes. Ne cherchez pas, il n’est pas dans le livre. Mike Hughes est ce mec, américain évidemment, qui a passé sa vie à construire des fusées artisanales avec comme unique objectif de démontrer que la terre est plate. Il n’en saura rien puisqu’il s’est crashé le vingt-deux février dernier à bord de l’un de ses engins faits de bric et de broc. N’est-ce pas un bel exemple d’égotisme ? Cela dit, le personnage de Claude Carven mis en scène par l’auteur présente des similitudes troublantes avec le platiste made in USA. Claude Carven envisage ni plus ni moins de sauter en parachute depuis la mésosphère, altitude 88 kilomètres.
A Roquebrune-Cap-Martin, dans leur villa ultrasécurisée, Armel et Jonathan Koestler coulent des jours. Les insolents parmi vous me feront observer que l’on dit : couler des jours heureux. Mais comme le couple s’emmerde à mourir, … Jonathan est un pseudo artiste alcoolique doublé d’un trafiquant d’art paranoïaque multi phobique spécialisé dans la modification des œuvres d’art contemporain. Au moment où j’écris ces lignes, il attend la livraison des onze tulipes en aluminium fraîchement tronçonnées de l’illustre Jeff Koons, cadeau fait par l’artiste à la Ville de Paris en 2019. Il ne sait absolument pas ce qu’il va en faire mais là n’est pas l’important.
Jonathan cultive ses phobies comme d’autres le cannabis. Il a un faible pour les phobies animalières. Plutôt que de se soigner, il a fait abattre les trois chênes bicentenaires du parc au prétexte qu’ils avaient des capricornes. Il suffit d’une colonne de fourmis pour que Jonathan sorte le Karcher. Contre les rongeurs, la villa Sotos possède trois asheras. Contre les voleurs, trois american staffordshire terriers.
La villa des Koestler parfaitement insonorisée a, entre autres avantages, celui de ne pas avoir entendu les cris de terreur et de douleur de Perdita Baron, propriétaire d’une villa voisine, victime d’un tueur particulièrement sadique. Aussi, quand trois policiers se sont présentés au portail pour leur poser toutes ces questions sur la femme assassinée la nuit dernière dans sa villa du bout de leur rue, aucun des deux n’a compris de qui ils voulaient parler. C’est bien simple, cinq minutes après le départ des trois enquêteurs, pas plus Armel que Jonathan ne se souvenait du nom de la victime.
Ailleurs, un peu partout sur le pourtour méditerranéen, les mégalodons s’en donnent à cœur joie, fanons retroussés. Jamais la nourriture n’a été aussi abondante et aussi facile à attraper. Reconnaissons qu’ils n’ont pas beaucoup de mérite non plus. L’homme et son sempiternel ça n’arrive qu’aux autres leur mâche le travail. Car, soyons sérieux, organiser la projection de Jaws au milieu d’une baie de Crète avec quatre cents spectateurs avachis sur des bouées, cela revient à envoyer un carton d’invitation aux requins qui infestent la Grande bleue, non ?
Et puis, sur la terre ferme cette fois, il y a tous ces accidents insolites : un lion qui traverse la route avec un gnou dans sa gueule obligeant le conducteur à s’écraser contre la paroi rocheuse. Il y a des variantes avec des troupeaux de zèbre, des cochers sur des fiacres,…Mais dans tous les cas, à part les impacts sur les carrosseries et les pare-brise dégoulinant de sang et d’autres matières organiques, aucun cadavre, comme si rien ne s’était passé.
J’ai adoré ce bouquin qui confronte l’homme à ses propres inepties, à sa stupidité galopante et inflationniste. J’ai beaucoup ri, je me suis amusé de ces personnages pétés de thunes qui ne savent réellement plus quoi inventer pour donner un semblant de sens et de peps à leurs vies aseptisées. Dès lors, pourquoi pas un coup de hache dans un Soulages ou un saut en parachute depuis la mésosphère ? Ça au moins, ça a du sens !
Ce qui en a encore bien plus, c’est de lire cette Fin de siècle, le dernier né de Sébastien Gendron. Un roman caustique, lucide et réjouissant.

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