À l'orée du verger
Tracy Chevalier

Quai Voltaire
mai 2016
336 p.  22,50 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
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Des hommes et des arbres…

Evidemment, quand on habite en Normandie et que l’on a la chance d’avoir un pommier dans son jardin, on est peut-être plus sensible aux histoires de pommes et de pommiers (même si l’on est incapable de savoir de quelle espèce sont les pommes rouges que l’on cueille chaque automne !). Car c’est bien de cela qu’il s’agit, on l’apprend dès le début : « Ils se disputaient encore à propos des pommes. Lui voulait cultiver davantage de pommes de table, pour les manger ; elle voulait des pommes à cidre, pour les boire. » Le ton est donné et l’on sent qu’entre les époux Goodenough rien ne va plus… Il faut dire que la vie des pionniers est particulièrement difficile dans le Black Swamp (Ohio) en 1938 : la boue des marais colle aux bottes et aux vêtements, impossible de s’en débarrasser. Pour construire sa maison et aménager son potager, il faut déboiser à se tuer les reins et le lendemain, guetter les premières pousses qui jaillissent de partout. Quant aux moustiques, n’en parlons pas : ils transmettent une fièvre mortelle. Au printemps 1838, Sadie Goodenough a déjà perdu cinq enfants sur les dix qu’elle a eus, à cause de cette fièvre. Alors, pour elle, c’en est trop : elle veut partir, quitter « cette saleté de marais puant » et puis, elle trouve que les greffes que pratique son mari sur les pommiers, c’est contre – nature. Se prendre pour Dieu, ça n’est pas une bonne chose… De toute façon, si elle s’écoutait, elle mettrait volontiers le feu à ce stupide verger. « On vivait pas grâce à cette terre, non : on était en vie malgré elle. Cette terre cherchait à avoir notre peau, que ce soit avec les moustiques, la fièvre, la boue, l’humidité, la chaleur ou le froid. » se dit-elle, folle de rage et maîtrisant à peine son désir de détruire les arbres chéris de son mari. Heureusement que l’eau-de-vie de pomme l’aide à tenir le coup en la détruisant lentement. Alors, quand elle est couchée, James Goodenough et son fils Robert s’occupent des pommes sous l’œil attentif de Martha, la fille dévouée qui gère la maison quand la mère ne tient plus debout. Ils font des greffes et ce n’est pas si simple, une greffe, il faut avoir le coup de main (j’en connais plus d’un dans mon coin de campagne qui vous retiendrait un après-midi entier pour vous en parler !). Le père et le fils protègent leur travail tant bien que mal du raz de marée maternel qui détruirait tout si elle s’écoutait, furie incapable de sentir dans une reinette dorée l’arrière goût de miel et d’ananas et trouvant que « toutes les pommes ont juste un goût de pomme ». Témoin silencieux des déchirements quotidiens entre ses parents jusqu’au terrible drame final, Robert Goodenough partira vers l’Ouest américain, la lumière, l’or : la Californie. Il exercera différents métiers jusqu’à ce que son amour des arbres le pousse à rechercher des espèces géantes dont on lui a parlé : les redwoods et les séquoias de Calaveras Grove. Spectacle fascinant. Sa rencontre avec un homme William Lobb dont le métier consiste à envoyer des arbres en Angleterre changera sa destinée. Une postface nous indique d’ailleurs que cet homme a réellement existé : il a introduit des pommiers dans l’Ohio et dans l’Indiana et envoyé en Angleterre divers arbres et végétaux venus d’Amérique. C’est une histoire simple et belle : la vie d’un homme qui a voulu fuir, plus loin, toujours plus loin, porté par sa passion des arbres et le désir d’oublier un passé douloureux. Mais, c’est difficile quand le cœur est resté sur les terres de l’enfance et que les années ont passé. A l’orée du verger est un livre où voyagent des hommes et des arbres, où les destins se croisent et où la vie, toujours plus puissante, tenace, entêtée, comme les arbres du Black Swamp, prend racine au plus profond de la terre et s’envole dans la lumière, ailleurs, vers un avenir plein de promesses. Un très beau texte…

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Dans le verger du bien et du mal

1838. James et Sadie Goodenough ont quitté le Connecticut pour l’Ohio, les Black Swamp inhospitaliers et spongieux où rien n’est censé pousser. Pourtant, James va planter des pommiers : à cidre et à manger, ces dernières étant ses préférées contrairement à sa femme alcoolique qui préfère les premières. Ils ont dix enfants dont il n’en reste plus que cinq au bout de quelques années, les autres ayant été emporté par la fièvre des marais véhiculée par les hordes de moustique à l’apparition des premières chaleurs de l’été. Tracy Chevalier décrit une vie rude de pionnier dans les Etats-Unis de la première moitié du XIX° siècle et le fait admirablement. Certes, les premières pages s’étirent un peu en longueur, mise en place du contexte oblige. Mais rapidement, le récit prend de l’ampleur pour se focaliser sur Robert, un des fils de James et Sadie, celui qui suivait son père partout autour des pommiers, celui qui a fuit juste après le drame (je n’en dirai pas plus). La structure du livre est très bien pensée, en six parties : • Chapitre 1. Black Swamp, 1838 : la mise en place du background de Robert et l’histoire tragique de James et Sadie, les tensions du couple, les haines et les trop rares joies. Ce chapitre est curieux : il alterne les parties relatives à James, descriptives et traitées à la troisième personne du singulier, et celles concernant Sadie, autobiographiques et écrites à la première personne du singulier. Cette opposition du « je » et du « il » ne fait que renforcer l’antagonisme croissant entre James et Sadie et marque bizarrement une préférence de l’auteur pour le personnage féminin de Sadie, le plus détestable des deux quand bien même il ne porte pas tous les torts… • Chapitre 2. Amérique, 1840-1856 : l’errance de Robert à travers l’Amérique, d’Est en Ouest, ses multiples métiers (orpailleur, fermier, marchand ambulant aux côtés d’un charlatan de première, etc…) jusqu’à sa rencontre avec William Lobb dans les forêts de séquoïas de Californie qui lui offrira sur un plateau un métier d’agent arboricole (il ramasse des graines, des plants et les expédie en Angleterre) et un avenir. Partie très courte sous forme de lettres envoyées, chaque premier de l’an ou presque, par Robert à ses frères et soeurs restés dans l’Ohio • Chapitre 3. Californie, 1853-1856 : toute la vie de Robert en Californie au service de William Lobb, reparti en Angleterre pour promouvoir ses séquoïas, tout l’apprentissage de Robert en tant qu’adulte sédentaire (il a quitté l’Ohio à peine âgé de 16 ans). Il devient sédentaire par la force des choses : ayant quitté l’Ohio plein est et ayant atteint l’océan, il ne peut plus ni avancer ni revenir en arrière • Chapitre 4. Black Swamp, 1838 : la suite de la tragédie entre James et Sadie pour aboutir à la fuite de Robert et l’abandon de Martha, la sœur dont il se sent le plus proche • Chapitre 5. Black Swamp, 1844-1856 : à nouveau une série de lettres, écrites cette fois par Martha, restée coincée dans l’Ohio, dont la plupart n’atteindront jamais Robert, et qui décrivent la dure vie de cette enfant chétive restée dans les Black Swamp • Chapitre 6. Californie, 1856 : les retrouvailles de Robert et Martha, mais je ne vous en dirai pas plus… Tout au plus pourra-t-on reprocher à Tracy Chevalier d’avoir recourt à des situations un peu tirées par les cheveux à une ou deux reprises et de tirer parfois un peu sur la corde sensible des sentiments, mais après un début un peu lent, elle parvient à happer le lecteur qui suit avec plaisir les traces de Robert, amoureux des arbres et des plantes, un brin rêveur, la tête perdue dans les nuages et les pieds pas très encrés sur la terre ferme jusqu’à ce que la vie les lui remette à leur place. De magnifiques portraits des pionniers dans leur diversité, avides de faire leur trou dans une société en construction, en friche, dont on peut faire tout et n’importe quoi, comme avec sa propre vie où tout n’est finalement qu’une question de choix mais qu’il faut avoir le courage d’affronter pour prendre des décisions et ne pas rester passif devant son avenir.

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