Au début de l'amour
Judith Hermann

Editions Albin Michel
mars 2016
209 p.  18 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
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C’est ainsi…

« C’est ainsi… » C’est par ces trois syllabes que commence le dernier livre de Judith Hermann : Au début de l’amour. « C’est ainsi ». Immédiatement, une certaine lassitude, une forme de renoncement et puis peut-être l’idée que ça aurait pu être autrement semblent vouloir faire surface. Stella rencontre Jason alors qu’elle revient du mariage de sa meilleure amie, Clara. Elle ne se sent pas très bien ; les belles années appartiennent dorénavant au passé. Elle a peur et tremble dans ce petit avion à hélices et demande à son voisin si elle peut se placer à ses côtés et lui serrer la main. Et ça commence comme ça… Il était là, à ce moment-là, mais il aurait pu tout aussi bien être ailleurs et elle aussi. Elle aurait pu avoir un autre voisin et c’eût été une autre rencontre. Mais c’était lui. Et ce moment, qu’on le veuille ou non, a déterminé tous les autres. « Je ressens comme une injustice le fait qu’on ne puisse voir et comprendre qu’a posteriori l’enchaînement des choses. » se plaindra-t-elle. Naîtra Ava, une petite fille. Et la vie s’écoulera, monotone et tranquille entre la maison dans le lotissement et son travail d’infirmière. Lui est absent, il construit des maisons. Elle vit souvent seule, dans la nostalgie des années passées, imaginant ce qui aurait pu se produire si, s’interrogeant sur la contingence des faits, les hasards de la vie… Elle échange peu avec Jason. C’est, comme on dit, un taiseux. D’ailleurs, se connaissent-ils vraiment ? En revanche, elle appelle son amie Clara, souvent. Elle lui écrit aussi de longues lettres où elle lui raconte ses rêves, la nostalgie qu’elle ressent pour un mari qui existe encore et qu’elle pense parfois mort. La jeune femme ne semble pas se sentir à sa place. Elle s’observe et regarde le monde avec une certaine distance comme si elle ne s’habitait ni ne l’habitait vraiment: « Elle voit une femme seule assise à une table sous une lampe, en train de lire. C’est moi, pense Stella. C’est moi. Stella. » Absente à elle-même. Les gens, les objets, la nature, le ciel demeurent comme extérieurs à elle. Stella se trouve dans l’impossibilité d’appartenir au monde, de faire corps avec lui et d’aller à la rencontre de ce qui l’entoure. Elle sent que quelque chose ne colle pas. Et pourtant, la vie quotidienne fait son chemin, les mêmes gestes, à la même heure, à quelques détails près. Certainement la meilleure façon d’oublier : « Peut-être qu’il s’agit de disparaître. C’est possible » suggère-t-elle. Jusqu’au jour où… un inconnu sonne à sa porte. Elle aimerait ouvrir mais se méfie. Elle l’interroge par l’interphone. Que veut-il ? Parler, répond-il, s’entretenir avec elle. Si elle a le temps. C’est tout. Mais on sent déjà qu’il y a quelque chose d’essentiel dans cette quête, de vital peut-être… Non, répond Stella, elle n’a pas le temps, vraiment pas. Dommage, répond l’homme puis, il repart. Il reviendra, chaque jour, plusieurs fois par jour… Inlassablement La tension monte au fur et à mesure des pages mais pour autant, nous ne sommes pas dans un roman policier mais au cœur des êtres, dans cette zone intime où ils s’interrogent sur ce qu’ils font là où ils sont. Une zone secrète où il ne fait pas toujours bon traîner. C’est risqué. Le voisin va tirer Stella de son petit confort, de sa maison, de ses objets, de ce quotidien en apparence paisible pour la placer face à elle même, dans l’analyse plus ou moins consciente de son mal-être, de ce rapport distancé au monde, de sa solitude et de ses désirs qu’elle ne souhaitait peut-être pas s’avouer. Il lui tend un miroir, cet homme dont elle dira : « Il paraît tout à fait normal, comme nous tous, mais on sent autre chose en dessous, un épuisement, une déchéance, une tristesse profonde. ». Le voisin, un double d’elle-même, une âme en peine ou tout simplement un homme avec qui un autre début aurait été possible si elle avait dit oui, si elle avait ouvert la porte et si… ? Un très beau texte poétique et sensuel où la tension des êtres est palpable à chaque page. « Comment j’ai pu atterrir ici ? » s’interroge Stella, persuadée qu’il est trop tard, qu’ « il y a peu de chances que certaines choses se produisent encore. » tandis que son amie Clara lui écrit : « Autrefois, j’ai pu m’imaginer de temps en temps que j’étais quelqu’un d’autre. Aujourd’hui je suis réduite à moi-même. » A quoi finalement ? Des gestes mécaniques, des sourires forcés et des sentiments morts. Stella dira au sujet de son voisin : « Il est bloqué, un jour dans sa vie quelque chose s’est coincé, il est resté pris dans une boucle temporelle ». Comme elle. Prisonnière du non qu’elle a prononcé, du renoncement dans lequel elle s’est cloîtrée, de ce que les autres – la collègue, la meilleure amie, le mari – lui ont dit de faire. Une Emma Bovary qui n’a pas ouvert sa porte, qui n’a pas tenté de fuir, qui s’est contentée de regarder au loin, derrière sa baie vitrée… Tragique, vraiment. Profondément tragique…

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