Automobile Club d'Egypte
Alaa El Aswany

Actes Sud
février 2014
540 p.  23,80 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Balzac en Egypte

Une fin de règne. C’est ce que raconte dans son nouveau livre le célébrissime auteur de « L’immeuble Yakoubian ». Comme dans ce premier roman devenu un best-seller adapté au cinéma, Alaa El Aswany choisit de décrire un microcosme, soit ici non pas un immeuble mais l’Automobile Club d’Egypte. Ce vénérable cercle privé très sélect a réellement existé et a connu son heure de gloire au temps du dernier roi d’Egypte, le roi Farouk. Au début du roman, nous sommes en 1947 et l’Egypte est encore sous tutelle britannique, mais ce protectorat est en train de vivre ses dernières heures. La révolution nassérienne est en route et bientôt le roi Farouk comme les Anglais seront contraints de quitter le pays.
Toutes sortes de gens se croisent dans l’Automobile club, des plus pauvres aux plus riches, jusqu’au roi en personne qui vient y jouer au poker chaque soir. L’administrateur anglais du club, Mr Wright, y passe ses journées, tout comme son majordome égyptien El-Kwo qui se comporte en véritable tyran auprès des serviteurs. Il y a surtout le petit personnel, ces travailleurs de l’ombre, comme le vieux portier respectable ou les très jeunes serveurs. Aswany excelle à décrire et mettre en scène chacun de ces protagonistes, mais aussi leurs familles, femmes, amis, qui représentent à eux seuls tous les échelons de la société mais aussi tous les courants, religieux ou politiques, qui traversent le peuple égyptien de l’époque. Il montre également comment, à tous les niveaux, des individus d’abord isolés puis de plus en plus nombreux vont commencer à remettre en cause la monarchie, la tutelle anglaise et s’organiser pour faire tomber le pouvoir. Mais il raconte, aussi, cette ambiance surannée et cosmopolite très particulière qui était celle de l’Egypte avant l’arrivée de Nasser au pouvoir.
Tous ces personnages se croisent, s’aiment ou s’affrontent en un ballet incessant qui évite à l’auteur de tomber dans le manichéisme. Chez Aswany, il n’y a pas les bons d’un côté et les mauvais de l’autre, reflet sans aucun doute de sa propre liberté d’esprit : en tant qu’intellectuel et éditorialiste, il n’a jamais hésité à égratigner tous les régimes qui se sont succédés en Egypte ces dernières années. Dans son livre, Anglais comme Egyptiens peuvent se montrer courageux ou veules, loyaux ou opportunistes, et généreux, aussi. Il y a du Balzac chez Aswany, avec ce roman qui englobe tous les milieux sociaux et se fait le reflet des évolutions d’un pays, sur le plan politique mais aussi sur des sujets comme la sexualité, la famille ou le droit des femmes. Et s’il y a du Balzac chez Aswany il y a aussi dans sa construction romanesque ce qui faisait la saveur des feuilletonistes du XIXème siècle : chaque chapitre se termine sur un coup de théâtre, on suit en alternance les vies des différents protagonistes et on va de surprises en rebondissements.
Et, bien entendu, cette situation prérévolutionnaire de l’Egypte d’avant Nasser peut être mise en parallèle avec les événements qu’a traversés ce pays durant ces dernières années. On n’en attendait pas moins de l’auteur des « Chroniques de la révolution égyptienne ».
 

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