Bons baisers de Téhéran
Gina Barkhordar Nahai

traduit de l'anglais par Pascale Haas
Préludes
mars 2015
635 p.  14,90 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Une saga persane

À la lecture de ce roman, on ne cesse de penser à une sorte de version persane de « La maison aux esprits » d’Isabel Allende. On est immergé dans l’histoire d’une contrée qui nous est lointaine, à travers le destin tragique d’une famille éprouvée par les renversements politiques de son pays. « Peu importe ce qui est vrai, seul compte ce que l’on croit ». C’est sur les fondements de cet adage que Gina B. Nahai, spécialiste de l’histoire politique de l’Iran émigrée aux Etats-Unis, se fait conteuse et nous emporte sur les chemins de l’exil des membres de la communauté juive d’Iran des années 50 à aujourd’hui. À cheval entre les cultures orientale et occidentale, son récit est teinté tout autant de magie et de féérie que des couleurs sombres d’un roman noir à suspens.

Pour le clan Soleyman, riche famille juive de Téhéran, l’exil en Californie semblait la promesse d’une vie nouvelle, loin des persécutions imposées par les mollahs de la révolution iranienne. La fuite et l’abandon de tous leurs biens semblaient inéluctables alors que leur pays devenait « une potence et leur peuple, des bourreaux ». Mais l’exil ne leur apporte pas la paix, car une malédiction pèse sur eux : le fils illégitime de l’un des leurs les poursuit à travers les frontières, animé d’une volonté de vengeance que rien n’assouvit. De mauvais sorts en malheurs qui frappent sans crier gare, ce n’est pas seulement le clan Soleyman qui tremble, mais toute la communauté juive iranienne de West L.A.

Tous les ingrédients d’une grande saga sont ici réunis : une famille de la haute société iranienne composée de personnalités singulières. Une vaste demeure Bagh-e-Yaas , symbole d’une prospérité âprement gagnée et théâtre des bonheurs et des drames. Un chef de clan, incarné par une femme Elizabeth, surnommée « Elizabeth La grande » à cause de son sang froid hors du commun. Des apparitions, des disparitions proches du surnaturel. Le sort qui s’acharne comme si Dieu avait le don « d’empoisonner le puits dès qu’il commence à être à sec ». Et puis aussi la formidable capacité de réinvention, de re-création d’une vie, alors que tout semble perdu. « En Orient, on échange son âme contre la carapace d’un corps pour survivre ».

Sur plus de 600 pages, on suit sans relâcher sa lecture, le destin d’une communauté qui après avoir été persécutée durant 1400 ans à travers les ghettos, les massacres et les confessions forcées, n’eut plus qu’à fuir en exil pour ne pas s’éteindre. Un scénario cruel de la toute-puissance des extrémistes qui se fait le regrettable écho d’une actualité qui, dans nos journaux, nous effraie chaque jour un peu plus. C’est dans la seconde partie du roman que l’auteur, elle-même émigrée en Californie, nous livre ses plus belles réflexions sur les blessures qui se creusent irrémédiablement au fond de chaque individu ayant vécu la perte de sa terre natale. « Le plus dur quand on vit en exil, c’est la disparition, non pas de soi, mais de ce qu’on paraît aux yeux des autres ». Si l’auteur choisit une forme narrative et un style qui empruntent beaucoup au genre fantastique des contes persans, cela lui permet sans doute de dire beaucoup sur les drames profonds traversés par les siens avec une apparente légèreté, sans la pesanteur de l’apitoiement. Une marque d’élégance, très orientale.

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