Cadavre exquis
Agustina Bazterrica

Flammarion
août 2019
291 p.  19 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche

Lecture prenante

« Demi-carcasse. Etourdisseur. Ligne d’abattage. Tunnel de désinfection. Ces mots surgissent et cognent dans sa tête. Le détruisent. Mais ce ne sont pas seulement des mots. C’est le sang, l’odeur tenace, l’automatisation, le fait de ne plus penser. Ils s’introduisent durant la nuit, quand il ne s’y attend pas. Il se réveille le corps couvert de sueur car il sait que demain encore il devra abattre des humains. »

La « Transition » est passée par là. Tous les animaux ont été contaminés par un virus mortel transmissible à l’homme (mais est-ce bien vrai?) et tous éradiqués. Interdiction formelle de conserver des animaux chez soi sous peine de finir comme eux.
« Il se souvient du jour où la Grande Guerre Bactériologique a été annoncée. L’hystérie collective, les suicides, la peur. Après la G.G.B. , il n’a plus été possible de manger d’animaux car ils avaient contracté un virus mortel pour les humains. » C’est la version officielle et une autre version circule sous le manteau, bien caché pour ne pas risquer de finir comme les animaux et comme des animaux.
Maintenant, les humains mangent de la « nourriture spéciale » comme le dit la pub à la télévision. On veut bien le faire, mais on ne peut ou ne veut pas le nommer car les humains mangent de la viande… humaine. Mais attention, ce ne sont pas des gens, mais du bétail humain, élevé comme du bétail. Ce sont des têtes à transformer « Personne ne doit plus les appeler « humains » car cela reviendrait à leur donner une entité ; on les nomme dont « produit » ou « viande », ou « aliment ».

Tous les étages du métier de la viande que nous connaissons actuellement existent. Monsieur Urami, tanneur, parle de la peau fraîche qu’il reçoit pour les tanner et la difficulté du métier. Le boucher découpe et vend, dans les abattoirs, les têtes ne sont pas mieux traitées que dans certains abattoirs actuellement….
Marcos, le narrateur travaille dans un abattoir, bras droit du patron, il sélectionne les têtes à la demande des clients. Que tout cela lui pèse !! Il lui faut durer pour payer la maison de retraite de son père. Cela lui permet également de survivre à la mort de son bébé et le départ de sa femme. Ce bétail, il le voit de pus en plus comme des congénères, surtout lorsque le patron d’un abattoir lui fait un cadeau embarrassant.
Agustina Bazterrica met le doigt sur la propagande et l’influence que cela a sur la population ; réflexion sur notre propension à avaler et digérer le système proposé et bien que le livre soit une dystopie, rappelons-nous, la nature humaine est ce qu’elle est.
A bien y regarder c’est, peut-être, une façon de palier à la surpopulation ! Tu n’est pas d’accord, allez, à l’abattoir. La mal bouffe n’est pas réglée pour autant car, il y a plusieurs classifications, les PGP, (Première Génération Pure) « têtes nées et élevées en captivité, qui n’ont subi aucune modification génétique et ne reçoivent pas d’hormones de croissance » sont des mets de choix, alors que pour les autres, bouffez des hormones de croissance !
Toute dystopie doit être crédible et ce livre ne fait pas exception dans l’horreur des phrases écrites avec sérieux, simplement… Ce qui rend les faits encore plus cruels. L’homme est un loup pour l’homme et la théorie du complot fleure bon la peur qu’elle occasionne (sortir avec un parapluie pour ne pas être contaminé par les chiures des oiseaux) « Tu ne te rends pas compte qu’ils nous manipulent ? Qu’ils nous font bouffer entre nous pour mieux contrôler la surpopulation, la pauvreté, la criminalité. Tu veux que je continue la liste ? »
Une fois ouvert, je n’ai pu me détacher de ma lecture, sauf pour faire un tour de jardin et digérer les pages que je venais de lire, comme pour « Anima » de Wajdi Mouawad.
Un livre qui interroge sur la condition, les valeurs humaines, la marchandisation forcée. Rappelons-nous, juste un petit retour en arrière, ou simplement un tour d‘horizon, qu’il ne faut pas grand-chose pour que la manipulation fonctionne.
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