Cette nuit je l'ai vue
Jancar Drago

Traduit par Andrée Lück Gaye
PHEBUS EDITIONS
litt etrangere
janvier 2014
240 p.  20 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Un portrait de femme.

Drago Jancar est né en 1948 en Yougoslavie. Ecrivain engagé, il est surtout connu en France pour son recueil de nouvelles, « L’Elève de Joyce ». « Cette nuit, je l’ai vue » est un roman choral centré sur le personnage de Veronika Zarnik, une jeune femme troublante qui forme avec son mari Leo un couple non-conformiste dans la province yougoslave de Slovénie, prise en étau par les Nazis et les « partisans » communistes pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les cinq personnages, témoins ou acteurs du drame qui s’est joué en 1944 au manoir des Zarnik à Ljubljana, racontent rétrospectivement leurs liens avec Veronika, égérie disparue dans des conditions mystérieuses. Stevo, depuis le camp de prisonniers où il est interné, la convoque toutes les nuits dans son délire, lui, le jeune officier de cavalerie brillant qui s’est perdu par amour pour cette beauté blonde et énigmatique, alors qu’il lui donnait des leçons d’équitation en 1937. Josipina se remémore quant à elle la nuit de janvier 1944, au cours de laquelle sa fille et son gendre ont été emmenés de force pour une destination inconnue. Elle s’accroche à ses souvenirs et à ses espoirs et se rappelle le médecin allemand, Horst, troisième protagoniste de ce roman à voix multiples. Invité régulier du manoir où se jouent des concerts privés, il partage avec Veronika sa passion pour la musique, et, sensible au charme naturel de son hôtesse, n’hésite pas à prendre des risques pour ses protégés. Jozi, la gouvernante du manoir, s’en souvient bien elle aussi, du mélange de haine et de passion que nourrissait l’ouvrier Jeranek envers Veronika Zarnik, femme inaccessible qu’il surnommait « la putain allemande » par dépit et amertume. Des années après, ce dernier est toujours tourmenté par sa mémoire, condamné à revivre la nuit où tout a dérapé, où il s’est retrouvé entraîné dans une expédition dont il ne maîtrisait pas les enjeux.
Chaque voix s’ajoute aux autres pour tenter de saisir la personnalité de cette femme libre et hors du commun, extravagante et désirable. Si Veronika est le centre de cette histoire, c’est parce qu’elle se refuse à choisir un camp, entre le Berlin artistique et la chère province yougoslave. Secrète et généreuse, amoureuse et indépendante, elle est pétrie de ces contradictions qui en font une figure insaisissable, victime d’une histoire qui la dépasse.

C’est un magnifique portrait de femme que brosse Drago Jancar dans ce roman polyphonique, un portrait sensuel et sensible, qui garde son mystère jusqu’à la fin, parce que les bourreaux meurent avec leurs secrets honteux. Ce couple emporté dans les méandres peu glorieux de la Slovénie communiste résume les silences de l’histoire. Mais Veronika n’a jamais été une femme de l’ombre, et elle continue de hanter ceux qu’elle a frappés par sa confiance inébranlable en la vie et son destin d’héroïne tragique.

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