Chasse au trésor
Molly Keane

traduit de l'anglais par Cécile Arnaud
Quai Voltaire
mai 2014
272 p.  20 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Etre et avoir été

Difficile d’être raisonnables quand on s’appelle Hercules et Consuelo. Des noms de personnages de théâtre, pas d’aristocrates irlandais. Est-ce la raison pour laquelle ce frère et cette sœur, cinquante ans bien sonnés, n’ont jamais l’air de prendre la vie au sérieux ? Ils devraient pourtant s’inquiéter. Leur frère aîné, Roderick, celui qui les faisait vivre, boire, manger, dormir (il était propriétaire du château, en ruine, dans lequel ils sont nés et ont vécu toute leur vie), vient de mourir. Il ne reste, si on en croit le notaire, plus un sou dans les caisses. Finies les bouteilles de champagne qu’on engloutit comme du sirop de fraise, finies les journées au champ de courses où l’on parie gros pour ne jamais gagner. C’est Philip, le neveu trentenaire, fils du regretté Roderick, soutenu par sa cousine Veronica, qui en a décidé ainsi. On arrête les folies, on essaye d’être raisonnable et on loue les chambres inhabitées à de riches clients de passage. Pour Hercules et Consuelo, l’idée même de « chambres d’hôtes » est insupportable. Ils ont beau résister, rien n’y fait : une famille de riches Anglais viendra passer quelques jours au château…

Molly Keane, c’est un ton : constamment ironique, tendrement cynique et tellement moqueur. Rien ne l’amuse plus que de faire virevolter ses personnages en tous sens, de leur montrer le mauvais chemin, celui qu’il ne fallait surtout pas prendre… parce que c’est plus drôle. De raconter comment dans son milieu, on ne dit pas qu’on s’aime, ni qu’on se déteste, qu’on ne parle pas d’argent, ni de maladie, encore moins de la mort. Et qu’on ne fait aucune remarque devant la folie douce de ces « aristos » vaguement déjantés. Molly Keane, l’Irlandaise de bonne famille, ne pouvait pas non plus s’exprimer sur ces choses-là, alors elle les a écrites. Elle a pris un pseudonyme, M.J. Farrell, pour publier dix romans et des pièces de théâtre qui connurent un grand succès. Des Hercules et des Consuelo, elle a dû en rencontrer des dizaines et on l’imagine observer ce monde à part, cette haute société du début du XXe siècle, avec gourmandise. Elle est morte à l’âge de quatre-vingt dix ans, en 1996, après une vie bien remplie. On regrette de ne jamais l’avoir rencontrée. Prendre le thé avec elle devait être tordant. À l’image de ses romans qu’on ne vous conseillera jamais assez de lire.

partagez cette critique
partage par email