Chéri-Chéri
Philippe Djian

Gallimard
blanche
octobre 2014
208 p.  18,50 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
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Jeux de miroirs

Le jour, Denis est critique littéraire et écrivain. Il a un certain succès mais il vend peu et reste fauché. Alors, la nuit, il enfile des robes glamour et chante dans un cabaret pour gagner sa vie et celle de sa femme. Il est en effet hétérosexuel et marié et forme un couple atypique avec Hannah qu’il a épousé parce qu’il l’avait mise enceinte. Ils s’accommodent parfaitement de la situation tous les deux.

Hannah souhaitait furieusement se marier, – c’est chose faite -, elle n’est pas du tout gênée par la part féminine de son époux, qu’il assume parfaitement depuis son adolescence. Ils ont trouvé leur équilibre. Hannah va jusqu’à adorer celui qu’elle appelle Chéri-Chéri et lui est ravi d’avoir trouvé une femme qui l’accepte tel qu’il est. Ils ont trouvé leur forme de bonheur toute personnelle.

En revanche, la tolérance n’est malheureusement pas le fort du père d’Hannah, un vieil homme agressif et riche. Propriétaire d’une résidence de standing, il a mis dans un premier temps un appartement à la disposition du jeune couple mais bientôt, il vient habiter avec son épouse à l’étage en dessous. Ce voisinage va causer bien des problèmes. Paul n’apprécie pas du tout le compagnon de sa fille, il n’a que mépris pour ses activités professionnelles, que ce soit l’écriture ou ses numéros de cabaret. Son credo à lui c’est : l’argent, la puissance, la virilité. Pour contraindre son gendre à adopter un mode de vie plus sérieux et plus responsable à ses yeux, il le harcèle financièrement en exigeant des loyers élevés même s’il n’en a nullement besoin et mène un train de satrape.

De fait, Paul a lui aussi une face cachée. Derrière ses apparences de bourgeois aisé et convenable, c’est en réalité un mafieux qui fait recouvrir des dettes par des moyens musclés. A force de harceler Denis, celui-ci, acculé, finit par accepter de participer à cette gestion particulière des contentieux. Paul lui impose alors de faire équipe avec Robert, son sbire dévoué, qui par la même occasion pourra ainsi le surveiller. Denis se retrouve ainsi tour à tour et selon l’heure, transgenre à paillettes, intellectuel ou homme de main.

Comme rien n’est jamais simple, pas plus dans un roman de Philippe Djian que dans la vie, l’imprévisible est au rendez-vous. Les relations entre les protagonistes vont évoluer, les alliances les plus inattendues vont se nouer et rien ne va se passer comme prévu.

Après les polémiques autour de la théorie du genre et les nouvelles formes du couple qui s’imposent, l’écrivain choisit d’exploiter encore une fois un thème sulfureux. Les personnages sont tous très contrastés, ce qui leur donne une grande réalité. Il n’y a pas de manichéisme, seulement des créatures humaines qui font ce qu’elles peuvent et essaient de vivre avec leur complexité psychologique. Ils assument leur part d’ombre et de lumière, leur féminité comme leur masculinité, leur image sociale officielle et leur face cachée. Chaque individu a de multiples facettes et se reflète aussi dans les autres.

L’auteur s’amuse évidemment avec la mise en abyme qui existe entre le personnage écrivain et lui-même et il en profite pour faire passer des messages sur ses procédés d’écriture, l’art, le milieu littéraire, le statut difficile des aspirants écrivains qui n’ont pas la chance d’être rentiers et ne parviennent pas à vivre exclusivement de leur plume, malgré la reconnaissance de leur talent.

Les situations sont cocasses, parfois extrêmes, l’auteur dépasse toujours un peu les limites, nous l’aimerions moins s’il ne le faisait pas. Toutefois, Denis semble vouloir nous enseigner une certaine philosophie et une manière particulière de prendre la vie : accepter ce qui se produit avec simplicité, sans rien dramatiser, renoncer à essayer de tout contrôler, faire avec et essayer d’être heureux quelles que soient les circonstances. Une belle leçon.

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