Débâcle
Lize Spit

Actes Sud Editions
romans, nouvell
février 2018
420 p.  23 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Débâcle est le premier roman de Lize Spit, née, elle aussi comme Eva de Wolf l’héroïne de son roman en 1988 dans la région d’Anvers.

Eva est professeur d’arts plastiques à Bruxelles, elle reçoit une invitation de la part de Pim qui a repris l’exploitation agricole pour commémorer la mémoire de son frère Jan qui aurait eu 30 ans ce 30 décembre 2015.

Eva quitte Bruxelles pour rejoindre son village natal Bovenmeer, où elle n’a plus remis les pieds depuis 13 ans emportant avec elle un immense bloc de glace dans le coffre de la voiture !

Eva est née en 1988, la même année que Pim (fils de fermier) et de Laurens (fils du boucher du village), ils étaient inséparables étant enfants, on les surnommait les trois mousquetaires. Ils étaient inséparables jusqu’à l’été 2002 qui scella la fin de leur amitié.

Habilement Lize Spit va nous raconter ce qui pousse Eva à revenir à Bovenmeer, ce par le biais de trois périodes successives.

Elle décrit heure par heure la journée du 30 décembre 2015, jour après jour l’été 2002 et enfin parsème le tout d’anecdotes, d’événements familiaux, de souvenirs d’enfance.

C’est lent, très visuel, de manière presque cinématographique, on s’imprègne de l’ambiance, on voit défiler les images.

On découvre la famille d’Eva, son frère Jolan passionné d’insectes, on ressent l’ombre de Tess sa soeur prédécédée, sa soeur Tessie l’anorexique remplie de Toc, ses parents , une mère alcoolique, un père peu impliqué, une famille dysfonctionnelle.

La vie du village est bien décrite, la mère de Laurens à la boucherie qui aime colporter les ragots et petites histoires du village, tout le monde s’observe, tout se sait. Il n’y a pas grand chose à faire pour tromper l’ennui.

L’été 2002 est chaud, lourd, poisseux comme l’atmosphère du roman. Nos trois mousquetaires ados ont élaboré un jeu cruel où Tessie participe malgré elle, de crainte de perdre l’amitié de Pim et Laurens qui découvrent la sexualité, faut dire que les hormones travaillent un max, les corps des filles les émoustillent.

Eva est chargée d’inventer une énigme, devinette qui sera au coeur de l’intrigue. Les filles invitées par les garçons devront la résoudre et perdront un vêtement à chaque mauvaise réponse.

Cette cruauté entre eux tournera au drame.

Ce livre est noir, très glauque mais reflète bien je pense la vie de ce petit village campagnard et ce milieu social où il n’y a rien à faire pour braver l’ennui.

Lize Spit a une écriture extrêmement réaliste. La construction et le suspense sont magnifiquement maîtrisés. C’est glauque, malsain, collant, poisseux, cruel. Elle décrit à merveille la cruauté des adolescents.

Quelle claque ! Quelle imagination, un livre qui secoue, qui bouleverse, certaines scènes me poursuivent encore quelques semaines après la lecture. C’est lent, mais au fur et à mesure de la lecture, la tension monte, le mystère reste entier, on veut savoir ce qui est arrivé à Jan, le frère de Pim, savoir ce qu’Eva a vécu, quelle sera la vengeance d’Eva. Petit à petit les choses se mettent en place, l’écriture nous porte, une prouesse.

La couverture du livre est dérangeante, surprenante, elle n’a rien à voir avec l’histoire mais correspond bien à l’atmosphère du roman.

Une plume à suivre et à découvrir de toute urgence.

Ma note : un coup de ♥

Les jolies phrases

Plus quelqu’un a besoin de temps pour réfléchir, moins on peut en attendre de la sincérité.

Je regarde le sang. Il y en a partout, dans ma culotte, à l’intérieur de mes cuisses écartées, sur la lunette des WC. Mon vagin n’est plus un trou qui ne mène nulle part, une poche de chemise qu’on croyait tout simplement cousue, mais qui, après l’achat, se révèle fausse. J’ai un utérus, je ne suis pas différente des autres? Elisa dit n’importe quoi.

J’étais la croûte sur la plaie, je devais tomber sans avoir à être écorchée.

Pour nous, c’est clair : Tessie a chargé son corps d’assurer le secrétariat de ses émotions. Plus elle est mal, plus elle fait d’heures supplémentaires. De là où je suis, assise sur la troisième marche, je peux sentir qu’elle a faim.

Ma chemise de nuit, humide, me collait à la peau. Ce n’était pas le chagrin, ni la pluie. J’étais restée si longtemps immobile, raidie de honte et de remords, que le matin m’avait prise pour une plante ou un arbuste, pour un élément du jardin, et il m’avait moi aussi couverte de rosée.

Chaque vie se résume à une simple somme algébrique, mais peu de gens s’y prennent à temps pour faire le compte depuis le début. Ceux qui tentent le coup en deviennent malades ou dérangés, ils fixent à l’avance un nombre précis de mastications pour que ça soit clair dès le départ et en défalquent tout mouvement de mâchoire. Leur existence à eux n’est pas une addition, mais une différence. Ils se remettent à zéro.

Ça c’est sûrement passé de la même façon que pour le sable de mer : au départ, les grains constituaient ensemble un rocher qui n’avait pas l’intention de s’effriter, mais au bout du compte, le temps et l’eau en ont décidé autrement.

Les enfants, sont comme des souris : pas besoin de beaucoup d’espace pour les laisser passer.

Tessie et moi, on serait restées à notre place, pas du tout parce qu’on se croyait heureuses, mais parce qu’il faut d’abord que les choses arrivent avant qu’on puisse les regretter, et aussi parce que le sachet de pickles n’était pas encore vide.

Les gens qui veulent partir n’importe où ne cherchent pas forcément à se retrouver ailleurs, ils veulent juste ne pas rester où ils sont.

Je crois que les êtres humains ne sont pas très différents des terres agricoles : de temps à autre, il leur faut se reposer, rester en friche, afin de pouvoir continuer par la suite.

Est-ce qu’il existait un mot pour exprimer ce qu’elle était devenue ? Un nom comme veuve ou orpheline, mais réservé aux mères ayant perdu un enfant ? Et le fait qu’il n’y en ait pas, est-ce que c’était une consolation ou au contraire une chose qui transformait le chagrin en un animal féroce et indomptable ?

Évidemment qu’une mère ne défendra jamais l’enfant de quelqu’un d’autre. C’est pour ça qu’elle est mère.

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