Des jours sans fin
Sebastian Barry

Joëlle Losfeld
janvier 2018
272 p.  22 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Un héros inoubliable, une ode au simple bonheur de vivre.

Ce livre magnifique vous fait soudain mieux comprendre à quel point toutes les plumes ne sont pas égales. C’est ce qui m’est venu à l’esprit en le refermant. Je me suis dit que Sebastian Barry était un sacré écrivain, parce que ce qu’il parvient à rendre (et n’oublions pas le sublime travail de la traductrice, Lætitia Devaux), cette émotion à l’état pur, qui vous serre la gorge de bonheur est tout simplement exceptionnel. Avec une langue apparemment simple, celle d’un jeune homme peu instruit, il tisse une toile qui parvient à exprimer toute la complexité des sentiments, celle qui fait une vie. Et nous offre la figure d’un héros touchant et difficile à oublier.

Cette figure c’est celle de Thomas McNulty, jeune émigré irlandais, chassé comme beaucoup de ses compatriotes par la famine qui a décimé sa famille et arrivé en Amérique avec juste l’espoir de survivre. Sans rien, même pas un habit correct pour se vêtir. Il fait un jour la connaissance de John Cole, aussi pauvre que lui, à peine un peu plus âgé et les deux adolescents sont miraculeusement embauchés par M. Noone, un tenancier de saloon qui divertit ses clients grâce à un spectacle de gamins travestis en femmes. Jusqu’à ce que leur apparence physique change au point de ne plus être adaptée à leur emploi. Ils s’engagent dans l’armée et participent aux batailles contre les Indiens de l’Ouest ; plus tard, ce sera l’armée de l’Union et les horreurs de la Guerre de Sécession. Toujours ensemble. Amis et amoureux. Un embryon de famille bientôt enrichi de figures bienveillantes rencontrées au fil de leur parcours et même d’une fille adoptive, Winona, une jeune indienne dont la tribu a été massacrée. Et une vie qui se construit, sans rien ou avec peu, mais riche de tous ces liens qui leur donnent à chacun des raisons d’exister.

Ce qui est fascinant c’est cette dualité qui affleure tout au long du récit de la vie de Thomas et John, alternance des pires violences (scènes de guerre, terribles conditions de survie dans le froid et l’immensité des plaines de l’Ouest, massacres des indiens, guerre fratricide ensuite…) et de la douceur à peine esquissée mais bien présente entre les deux hommes puis vis à vis de leur fille. Une dualité portée par le personnage de Thomas qui agit comme un homme mais se sent si féminin, plus à l’aise en robe qu’en tenue de guerrier. La mort rôde à chaque seconde autour d’eux et pourtant, chacun de leur pas en avant est une ode à la vie. A ces petites choses que l’on partage avec ceux que l’on aime, juste parce qu’on a envie d’être avec eux.

Thomas McNulty est un homme simple, hanté par les images des morts de faim de son enfance, capable de s’émerveiller des couleurs d’un paysage, obligé de tuer sous les ordres de ses supérieurs afin de simplement assurer sa subsistance. Un homme qui apprend chaque jour à savourer les minuscules instants de beauté ou de bonheur offerts même dans les circonstances les plus rudes. On ne peut qu’être conquis par cet homme qui assume sa part de féminité dans un contexte où la virilité est de rigueur. Et par la beauté de la langue de Sebastian Barry qui trouve à chaque fois les mots pour exprimer cette dualité. Je ne m’attendais pas à prendre un tel plaisir en me replongeant dans le far west et la guerre de Sécession… Pourtant, ce livre m’a cueillie d’entrée et m’a déposée tout émue à la dernière ligne, le cœur gonflé de l’envie de continuer à apprécier la moindre parcelle de beauté.

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